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c’était la recherche ardente ou mélancolique, mais assidue, des rapports qui peuvent, qui doivent exister entre l’âme individuelle et cette âme universelle que nous appelons Dieu. Comme je n’appartenais au monde ni de fait ni d’intentions, comme ma nature contemplative se dérobait absolument à ses influences ; comme, en un mot, je ne pouvais et ne voulais agir qu’en vertu d’une loi supérieure à la coutume et à l’opinion, il m’importait fort de chercher en Dieu le mot de l’énigme de ma vie, la notion de mes vrais devoirs, la sanction de mes sentiments les plus intimes. Pour ceux qui ne voient dans la Divinité qu’une loi fatale, aveugle et sourde aux larmes et aux prières de la créature intelligente, ce perpétuel entretien de l’esprit avec un problème insoluble rentre probablement dans ce qu’on a appelé le mysticisme. Mystique ? soit ! Il me fallait trouver, non pas en dehors, mais au-dessus des conceptions passagères de l’humanité, au-dessus de moi-même, un idéal de force, de vérité, un type de perfection immuable à embrasser, à contempler, à consulter et à implorer sans cesse. Longtemps je fus gênée par les habitudes de prière que j’avais contractées, non quant à la lettre, — on a vu que je n’avais jamais pu m’y astreindre, — mais quant à l’esprit. Quand l’idée de Dieu se fut agrandie en même temps que mon âme s’était complétée, quand je crus comprendre ce que j’avais à dire à Dieu, de quoi le remercier, quoi lui demander, je retrouvai mes effusions, mes larmes, mon enthousiasme et ma confiance d’autrefois. Alors, j’enfermai en moi la croyance comme un mystère et, ne voulant pas la discuter, je la laissai discuter et railler aux autres, sans écouter, sans entendre, sans être entamée ni troublée un seul instant… Cette foi sereine fut encore ébranlée plus tard ; mais elle ne le fut que par ma propre fièvre, sans que l’action des autres y fût pour rien. Je n’eus jamais le pédantisme de ma préoccupation ; personne ne s’en douta jamais, et quand, peu d’années après, j’ai écrit Lélia et Spiridion, deux ouvrages qui résument pour moi beaucoup d’agitations morales, mes plus intimes amis se demandaient avec stupeur en quels jours, à quelles heures de j ma vie, j’avais passé par ces âpres chemins, entre les cimes de la foi ! et les abîmes de l’épouvante… [1].

Et un peu plus loin, dans cette même Histoire, en expliquant combien il est difficile pour un écrivain de se peindre, même en beau, et en assurant le lecteur qu’elle ne se peignit jamais dans aucune de ses héroïnes (ce dont il est permis de douter), Mme Sand dit finalement :

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p, 52-55.