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mère, Marie-Aurore Dupin de Francueil[1]. Karol aurait voulu « faire tout l’opposé de ce que faisait et voulait faire Floriani ».

De même que dans l’Histoire de ma vie, après avoir parlé de ces changements d’humeur, George Sand nous dit que « rien ne paraissait, rien n’a jamais paru de sa vie intérieure dont ses chefs-d’œuvre d’art étaient l’expression mystérieuse et vague, mais dont ses lèvres ne trahissaient jamais la souffrance », de même dans Lucrezia nous lisons :

Mais comme il était souverainement poli et réservé, jamais personne ne pouvait seulement soupçonner ce qui se passait en lui. Plus il était exaspéré, plus il se montrait froid, et l’on ne pouvait juger du degré de sa fureur qu’à celui de sa courtoisie glacée. C’est alors qu’il était véritablement insupportable, parce qu’il voulait raisonner et soumettre la vie réelle, à laquelle il n’avait jamais rien compris, à des principes qu’il ne pouvait définir. Alors il trouvait de l’esprit, un esprit faux et brillant, pour torturer ceux qu’il aimait. Il était persifleur, guindé, précieux, dégoûté de tout. Il avait l’air de mordre tout doucement pour s’amuser et la blessure qu’il faisait pénétrait jusqu’aux entrailles. Ou bien, s’il n’avait pas le courage de contredire et de railler, il se renfermait dans un silence dédaigneux, dans une bouderie navrante[2]. Tout lui paraissait étranger et indifférent. Il se mettait à part de toutes choses, de toutes gens, de toute opinion et de toute idée. Il ne comprenait pas cela. Quand il avait dit cette réponse aux caressantes investigations d’une causerie qui s’efforçait en vain de le distraire, on pouvait être certain qu’il méprisait profondément tout ce qu’on avait dit et tout ce qu’on pouvait dire…

Dans l’Histoire de ma vie, nous lisons : « Chopin fâché était effrayant et comme avec moi il se contenait toujours, il semblait près de suffoquer et de mourir. » De même Karol n’accable jamais son amie de reproches. Même en proie à un accès de jalousie, il la quitte sur une phrase absolument polie et glacée. Il s’enferme chez lui. Elle force sa porte et le trouve dans un état indescriptible.

  1. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. I er, p. 107, avec l’Histoire de ma vie, t. III, p. 252-282-286, et la Lucrezia Floriani, chap. ix et xxviii.
  2. On se rappelle : George Sand écrivait à Mlle de Rozières : « Avant-hier, il a passé la journée entière sans dire une syllabe à qui que ce soit. »