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ment intérieur, de toute foi intime, quelque chose comme l’accomplissement d’un paragraphe du Manuel de la bienséance honnête et civile.

Mme Sand était très occupée de bien élever sa fille, mais voici ce qui est étrange : presque toutes ses lettres à Solange, ultérieures à 1838, semblent froides, on y sent une mère très soucieuse, mais parfois trop sensée, raisonnant trop rationnellement.

George Sand prétend dans l’Histoire de ma vie qu’en 1841, par exemple, elle s’appliqua à cacher à Solange le regret et l’effort de se séparer d’elle quand elle la fit entrer chez Mme Bascans[1], afin que Solange ne profitât pas de ce moment de faiblesse. On constate la même chose dans une lettre du commencement de cette année, citée par M. Rocheblave, qui remarque fort judicieusement que « le ton de rudesse affectée de cette lettre s’explique parla crainte de paraître trop sensible à certaines plaintes. Solange en eût abusé[2]… ». Mais tout cela est vraiment trop raisonnable, cela ressemble trop peu à la George Sand des lettres à son fils. Solange devait certes s’en apercevoir et s’en affliger. Il semble toutefois que même dans l’amour qu’elle avait pour sa mère, la jalousie et l’envie l’emportèrent sur la tendresse filiale : elle souffrait non pas d’être moins aimée, mais de ce que ce fût Maurice qu’on aimait le plus. Autre chose d’étrange à signaler encore : on remarque dans les lettres de Solange un constant et malin désir d’attraper sa mère, de la prendre au mot, agrémenté de pointes et de coups d’épingle nullement enfantins. On y rencontre à chaque pas des réfutations et des reparties ingénieuses et spirituelles : cette correspondance a tout l’air d’un duel entre la mère et la fille. Solange fut toujours profondément malheureuse, quoiqu’elle ne le fût pas autant qu’elle le prétendit plus tard, restant fidèle à cette constante préoccupation de toute sa vie de « paraître » et de « poser » pour quelque chose. Tant que sa mère vécut, elle ne cessa d’être pour elle la cause d’une série ininterrompue d’afflictions, de chagrins, d’offenses et de blessures ;

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p. 457.
  2. George Sand et sa fille. (Revue des Deux Mondes, février 1905, p. 821.)