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Jeune fillette, complètement confiée à elle-même, elle passait des nuits entières à lire dans cette même chambre, et, après avoir lu, elle se chauffait un peu — ce qui n’était pas facile alors — et résumait ses lectures, en s’efforçant de concilier dans son esprit les contradictions existant entre les idées des grands écrivains ou leurs pensées et ses propres croyances.

Élevée au couvent et enivrée de dévotion poétique, elle lisait tranquillement les philosophes, croyant d’abord qu’elle les réfuterait facilement dans sa conscience ; mais elle se prenait à aimer les philosophes et à voir Dieu plus grand qu’il ne lui était encore apparu.

Elle croyait trouver chez ces philosophes la réponse à ses doutes et à ses incertitudes, mais insensiblement ses croyances, d’orthodoxes qu’elles étaient, devenaient individuelles, plus profondes, s’élargissaient.

C’était très vague, mais très grand et chaque fois que revenait la vision, elle se présentait agrandie, comme si la sève eût augmenté dans l’ensemble et dans le détail.

Mais dans cette conception spiritualiste manquait le sentiment personnel envers Dieu.

L’âme rêveuse voulait aimer et la toute-puissance, objet de son admiration, ne suffisait pas à contenter son cœur. Il fallait l’infini de l’amour dans cette création exubérante où la force des renaissances est inépuisable, et le monde qui nous sert de milieu ne manifeste que la lutte des existences empiétant les unes sur les autres…

… Alors l’âme pensive dont je cherche à ressaisir la trace et qui déjà en ce temps cherchait à se ressaisir dans le passé religieux, voulait se relever par la prière. Elle dépouilla la forme arrêtée du catholicisme, elle se fit protestante sans le savoir ; et puis, elle alla plus loin et improvisa son mode d’entretien avec la divinité. Elle se fit une religion à sa taille, à la mesure de son entendement. Ce n’était probablement pas une grande conception. C’était sincère et indépendant, voilà tout le mérite.

Ce qui surnagea sur cette houle, ce qui plus tard et à tous les âges de la vie a surnagé et nagé vraiment sans lassitude, c’est le besoin de croire à l’amour divin… J’aime mieux croire que Dieu n’existe pas que de le croire indifférent…