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qu’on ne doit ouvrir que quand on en peut tirer le bonheur d’autrui ». Ensuite elle demande avec enjouement et une douce ironie :

… Que pourrais-je donc tirer d’utile pour vous de mon tiroir (puisque la métaphore y est, laissons-la) ? Serait-ce de la louange ? Vous n’en manquez pas, et je crains même que vous n’en ayez un peu trop autour de vous. Je trouve, dans la manière dont vous me parlez de vous-même, une confiance un peu exaltée, dont je voudrais vous voir rabattre pour travailler vos vers plus consciencieusement et à tête refroidie le lendemain de l’inspiration. Voyons ce qu’il y aurait dans le tiroir encore : de l’amitié, de la sympathie ? un véritable intérêt ? Sans doute vous savez que le coffre en est plein, et si vous étiez comme moi, vous ne devriez pas aimer à abuser dans les mots des plus saintes choses du monde en faisant trop prendre l’air aux reliques de l’âme. Troisièmes reliques du tiroir : des avis, des avertissements, des sermons affectueux dans l’occasion ?…

… Je vous ai envoyé, pour commencer, l’amitié, l’intérêt, la sympathie, l’approbation, la louange sincère et méritée ; et puis ensuite les sermons affectueux et les avis pleins de sollicitude. Si je le rouvrais toutes les semaines pour vous approuver, je vous donnerais de la vanité et je vous ferais du mal. Si je le rouvrais de même pour vous

; raisonner, je vous causerais du découragement, et vous ferais encore 

du mal…

Mais puisqu’il se plaint de son silence, voici la question des

; sermons sur le tapis ; elle lui en fera encore un cette fois :

… Je vois que vous êtes dans une période d’expansion excessive. Vous êtes tout jeune, vous êtes Méridional, vous êtes poète, cela s’explique. Eh bien ! mon enfant, faites des vers, de beaux vers. Jetez votre cœur à pleines mains à votre compagne, à votre mère, à vos amis et à vos camarades. Mais, avec moi, si vous voulez que votre attachement vous profite, soyez plus calme, plus sérieux et plus patient, car j’ai une nature très concentrée, très froide extérieurement, très réfléchie et très silencieuse. Si vous ne comprenez pas, je ne vous serai bonne à rien. Mon amitié tranquille et rarement expansive vous blessera sans vous convaincre et je serais pour votre vie une agitation, au lieu d’être un bienfait. Puisque nous voilà sur ce sujet, j’ai deux reproches à vous faire d’une nature assez délicate et je veux que vous preniez Désirée pour seule confidente et pour juge, avec votre mère, si vous voulez : je suis sûre qu’elles ont plus de droiture et de sens