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— Songez, me dit-il, comme le risque d’une chute est grand pour celui qui tient le rôle des acteurs au bout de ses doigts, qui est l’auteur de la pièce, le décorateur, le machiniste, le directeur. Et si Adam allait faire oua ! oua ! Si Topaze et sa mère étaient comme qui dirait rasées !

— Ce sera exécrable ! marmotte le fusilier PLauchut.

Mme Sand se fâche, presque sérieusement.

— Trente jours d’arrêts au fusilier Plauchut, en rentrant à Paris, prononce avec dignité le sargent.

— Endossés, les trente jours, à la condition que tu viennes me les faire faire, sargent, répond le fusilier.

Enfin, le moment solennel arrive. Nous défilons gravement, selon le rang que Mme Sand nous assigne. Nous entrons dans la salle de théâtre que nous ne connaissons pas encore et qui est brillamment éclairée. À gauche, la grande scène, où l’on joue la grande comédie, en face, le théâtre des marionnettes avec un rideau étonnant, peint par Maurice, bien entendu.

Le rideau se lève ; la toile de fond a des perspectives extraordinaires. Nous voilà transportés en Espagne dans las Sierras.

Nous sommes prévenus qu’il est permis d’interpeller les acteurs, que l’action et le dénouement lui-même peuvent être influencés par les spectateurs. Maurice n’ayant de respect que « pour ce genre de suffrage universel ».

Balandard, directeur de la troupe, entre et nous apprend ce que je viens de dire : le personnage à la fois gourmé et sympathique ajoute : « On va s’amuser. »

Oh ! Balandard ! sa redingote, son gilet blanc impeccable, son immense chapeau qui le couvre ou qu’il tient à la main avec tant de dignité ! C’est George Sand qui est son tailleur, et il s’en vante à tout propos.

Dans la crainte que nous ne sachions pas lire les affiches, Balandard est venu nous répéter le titre de la pièce. « Je compte, ajoute-t-il, que vous m’honorerez de votre indulgence ; je vous la rends. »

— Ran tan plan ! répond Plauchut qui continuerait si un vigoureux : « Silence dans les rangs tan plan ! » ne l’arrêtait.

La pièce commence. Elle est abracadabrante. Les spectateurs demandent des explications. On dénonce les traîtrises à la victime menacée. Le public s’impatiente de ses propres interruptions et s’emporte. Maurice répond à qui l’interroge, réenchaîne l’action, improvise, fait tête à tous les imprévus.

Est-ce la merveille des physionomies des marionnettes, taillées et peintes presque toutes par Maurice ? Est-ce l’art avec lequel il les fait mouvoir, les met en lumière ? Sont-ce leurs gestes stupéfiants de réalité, la promptitude qu’elles mettent à aller, à venir, à entrer, à sortir,