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Nohant, 14 août 1851.

Je ne vous ai pas remercié en personne, monsieur, et vous me chagrinerez beaucoup, si vous m’ôtez le plaisir de le faire de vive voix à Nohant, c’est-à-dire à la campagne, où l’on se parle mieux en un jour qu’à Paris en un an.

Je ne suis plus sûre d’y aller avant la fin du mois. J’ai été malade, retardée, par conséquent, dans un petit travail que je tiens à achever[1].

Si vous pouviez venir d’ici au 25, j’en serai bien contente et reconnaissante. Si vous ne le pouvez pas, ayez l’obligeance de faire porter le paquet bien cacheté chez M. Falempin (pardon pour le nom, ce n’est pas moi qui l’ai donné au baptême à ce brave homme), rue Louis-le-Grand, 33.

Je ne veux pas encore perdre l’espérance de vous voir ici avec votre père. Il me disait ces jours-ci qu’il y ferait son possible, à condition d’être embrassé de bon cœur. Dites-lui que je ne suis plus d’âge à le priver et à me priver moi-même d’une si sincère marque d’amitié, et que je compte bien le recevoir à bras ouverts. Si tous deux vous me privez de ce plaisir, au revoir donc à Paris le mois prochain, si vous n’êtes pas reparti pour quelque Silésie ou autres environs. Avant de vous serrer ici la main en remerciement de votre bonté pour moi, je veux vous la serrer d’une manière toute désintéressée pour le joli livre que je suis en train de lire[2]. C’est charmant de retrouver Charlotte, et Manon, et Virginie, et tous ces êtres qu’on aime tant et qu’on a tant pleures. L’idée est neuve, singulière et paraît cependant toute naturelle à mesure qu’on lit. Il est impossible de s’en tirer plus adroitement et plus simplement. Si vous me gardez Paul et Virginie purs et fidèles comme je l’espère, je vous remercierai doublement du plaisir de cette lecture. Vous avez réussi à faire parler Gœthe sans qu’on s’en offusque. Au fait, il n’était pas meilleur que cela, et vous ne lui donnez pas moins de grandeur et d’esprit qu’il n’en devait avoir. J’entends crier un peu contre la hardiesse de votre sujet, mais jusqu’à présent, je n’y trouve rien qui profane, rabaisse ou vulgarise ces types aimés ou admirés. J’attends la fin avec impatience. Adieu encore, et de toute façon, à bientôt, et à vous de cœur.

George Sand.
  1. Cette phrase est changée dans le vol. III de la Correspond. (V. p. 191.)
  2. Le Régent Mustel, par Al. Dumas fils.