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Deux ans plus tard, dans une longue lettre à Duvernet[1], George Sand revient sur ce sujet avec plus de force encore Elle dit à son ami, au commencement de sa lettre, que tout son temps est pris par le travail et la correction des épreuves, de sorte qu’il ne lui en reste presque point pour autre chose, pas même assez pour réfléchir à ce qu’elle va écrire dans le prochain numéro de la Revue.

Heureusement, s’écrie-t-elle, que je n’ai plus à chercher mes idées : elles sont éclaircies dans mon cerveau ; je n’ai plus à combattre mes doutes : ils se sont dissipés comme de vains nuages devant la lumière de la conviction ; je n’ai plus à interroger mes sentiments : ils parlent chaudement au fond de mes entrailles et imposent silence à toute hésitation, à tout amour-propre littéraire, à toute crainte du ridicule. Voilà à quoi m’a servi à moi l’étude de la philosophie, et d’une certaine philosophie, la seule claire pour moi, parce qu’elle est la seule qui soit aussi complète que l’est l’âme humaine aux temps où nous sommes arrivés. Je ne dis pas que ce soit le dernier mot de l’humanité ; mais, quant à présent, c’en est l’expression la plus avancée. Tu demandes pourtant à quoi sert la philosophie et tu traites de subtilités inutiles et dangereuses la connaissance de la vérité cherchée, depuis que l’humanité existe, par tous les hommes, et arrachée brin à brin, filon par filon, du fond de la mine obscure, par les hommes les plus intelligents, les meilleurs dans tous les siècles. Tu traites un peu cavalièrement l’œuvre de Moïse, de Jésus-Christ, de Platon, d’Aristote, de Zoroastre, de Pythagore, de Bossuet, de Montesquieu, de Luther, de Voltaire, de Pascal, de Jean-Jacques Rousseau, etc., etc. Tu sabres à travers tout cela, peu habitué que tu es aux formules philosophiques. Tu trouves dans ton bon cœur et dans ton âme généreuse des fibres qui répondent à toutes ces formules et tu t’étonnes beaucoup qu’il faille prendre la peine de lire, dans un langage assez profond, la doctrine qui légitime, explique, consacre, sanctifie et résume tout ce que tu as en toi de bonté et de vérité acquise et naturelle. L’œuvre de la philosophie n’a pourtant jamais été et ne sera jamais autre chose que le résumé le plus pur et le plus élevé de ce qu’il y a de bonté, de vérité et de force répandu dans les hommes à l’époque où chaque philosophe l’examine.

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  1. Corresp., t. II, p. 180. Cette lettre est erronément datée du « 27 septembre 1841 », dans la Corresp. ; elle fut écrite en novembre 1841. Nous en avons donné quelques lignes plus haut. p. 13.