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Merci, mille fois merci pour chaque parole de votre lettre, chère amie. Ah ! que cela fait du bien à retrouver un cœur ami que l’on a cru perdu par le temps. Oui, vous êtes toujours la bonne, la sincère, l’excellente femme que j’ai connue, et les années n’ont rien pu sur vous, je doute même qu’elles aient semé quelques plis sur ce beau front, digne écrin d’une intelligente luisante (sic) comme la vôtre !

Votre certificat m’honore autant qu’il me réjouit, mais je n’en profiterai pas vis-à-vis du public. Est-ce qu’il vaut jamais la peine qu’on s’excuse auprès de lui ? Ne croirait-il pas avec beaucoup plus d’empressement à de nouvelles (sic) mensonges, pourvu qu’il s’amuse, et Heine n’en inventerait-il pas d’autres, pour avoir les rieurs de son côté ? Non, je ne suis ni poltron, ni insolent, mais je me sens impuissant vis-à-vis de la trivialité ! Qu’un homme comme Heine dise de moi que j’ai volé, ne pouvant le châtier, je me tairai. Et qui est-ce qui croit à la critique morale d’un auteur comme lui ? Je puis vous assurer que tout ce qu’il a débité sur ma pauvre personne a excité comme un cri d’indignation, mais tout le monde me priait en même temps de ne pas répondre par un seul mot.

Votre invitation franche et sincère me comble de plaisir. Je la lis et la relis, comme si l’exécution en gagnerait de probabilité. Mais, hélas ! ma santé qui, depuis quelques mois, va joliment decrescendo, paraît s’y opposer formellement.

Nous verrons. En attendant, je fais les plus beaux châteaux en Espagne, — je me vois à côté de vous et du bon Maurice. Hélas ! votre excellent frère n’y est plus, quelle triste nouvelle !… Nous causons des temps passés, de ce délicieux petit salon, rue Pigalle, qui réunissait tant de charmes ! J’entends de nouveau mon bon Chopin, glissant sur les touches du piano comme un beau rêve sur le front d’une vierge, je vois la figure mâle de Delacroix, qui se penche sur Maurice, l’intrépide dessinateur de mille croquis comiques ; j’admire la paix classique dans les traits réguliers de Solange, qui ne s’anime qu’après avoir échangé un doux regard avec Pistolet, l’enfant chéri à quatre pattes, qui fait sa sieste au-dessous de la table. Rarement cette douce intimité, dont il me fut permis de savourer le parfum, était-elle interrompue par quelque visite. Elle servait de prélude au grand auteur, qui, après minuit, quittait son fauteuil de velours pour se retirer dans sa chambre d’études, où il travaillait jusqu’au lendemain. Tout cela s’est évanoui ! Où retrouver un bonheur aussi doux, aussi pur ? L’avez-vous trouvé, femme chérie ? Dites oui. Vous me rendrez bien heureux.

Il faut finir ; j’écris trop, beaucoup trop, ne m’en voulez pas. Gardez-moi toujours un bon souvenir et si vous voulez chasser cette affreuse hypocondrie qui m’assomme, écrivez-moi, ne serait-ce que bien rare-