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ces graviers aux pâles nuances d’or mat qui le rayent mollement, et ces genêts d’or brûlant qui le coupent de leurs ombres, sont plus doux à la vue que les allées droites et les raides charmilles de ce parc orgueilleux et froid ! Bien qu’à regarder les grandes lignes sèches d’un jardin, la lassitude me prend : pourquoi mes pieds chercheraient-ils à atteindre ce que mes yeux et ma pensée embrassent tout d’abord ? au lieu que le libre chemin qui s’enfuit et se cache à demi dans les bois m’invite et m’appelle à suivre ses détours et à pénétrer ses mystères. Et puis, ce chemin, c’est le passage de l’humanité, c’est la route de l’univers. Il n’appartient pas à un maître, qui puisse le fermer ou l’ouvrir à son gré. Ce n’est pas seulement le puissant et le riche qui ont le droit de fouler ses marges fleuries et de respirer ses sauvages parfums. Tout oiseau peut suspendre son nid à ses branches ; tout vagabond peut reposer sa tête sur ses pierres. Devant lui un mur ou une palissade ne ferme point l’horizon. Le ciel ne finit pas devant lui ; et tant que la vue peut s’étendre, le chemin est une terre de liberté. À droite, à gauche, les champs et les bois appartiennent à des maîtres ; le chemin appartient à celui qui ne possède pas autre chose ; aussi comme il l’aime ! Le plus grossier mendiant a pour lui un amour invincible. Qu’on lui bâtisse des hôpitaux aussi riches que des palais, ce seront toujours des prisons ; sa poésie, son rêve, sa passion, ce sera toujours le grand chemin !…

À cette même heure arrive soudainement au château Anzoleto qui a découvert le séjour de Consuelo ; il se fait passer pour son frère. Consuelo s’aperçoit avec effroi qu’elle aime cet ami de son enfance, amour inconscient, élémentaire, dépourvu de tout sentiment de respect et presque sensuel, mais enraciné dans son âme. Elle s’efforce de penser à Albert, elle veut être digne de lui, et elle se sent éprise d’Anzoleto et manque de succomber. (Nous devons confesser que ces pages produisent un effet assez déplaisant, malgré tout leur réalisme et toute leur vraisemblance ; l’auteur s’arrête plus qu’il ne faut sur des détails qu’il ne faudrait qu’effleurer. L’image virginale de Consuelo perd à nos yeux quelque chose de son charme, elle analyse ses sensations avec la précision d’une femme fort experte.)

Heureusement, Anzoleto se conduit avec tant de désinvolture et d’arrogance envers les maîtres de la maison, il se pose si cyniquement en Don Juan, sûr de sa conquête, vis-à-vis de Consuelo, que malgré sa passion elle se décide à rompre pour