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À cette lettre, pleine d’allusions et d’insinuations aiguisées à l’adresse de sa mère et prouvant plus que parfaitement l’absence de moralité de Solange, George Sand répondit par les belles et fortes pages que voici :


Nohant, 25 avril 1852.

Je vois, ma grosse, que tu es dans un accès de spleen. Bah ! cela passera vite, comme tout ce qui te passe par la tête. Il me semble que, puisque tu as eu une première victoire, assez inespérée, quant à moi, je l’avoue ; puisque dans quelques jours tu vas ravoir ta fille et l’amener ici, où tu resteras si tu veux jusqu’à de nouvelles nécessités de ton procès, il n’y a pas à se désespérer pour quelques jours passés dans une chambre triste ; car je vois que c’est là le grand malheur du moment. Celui-là n’est pas mortel, j’ai beaucoup vécu, beaucoup travaillé seule, entre quatre murs sales, dans les plus belles années de ma jeunesse, comme tu dis, et ce n’est pas ce que je regrette d’avoir connu et accepté.

L’isolement dont tu te plains, c’est autre chose. Il est inévitable dans le moment où tu es, il est la conséquence du parti que tu as pris. €e mari (insupportable de caractère, c’est possible) n’est peut-être pas digne de tant d’aversion et d’une si fougueuse rupture. Je crois qu’on aurait pu se séparer autrement, avec plus de dignité, de patience et de prudence. Tu l’as voulu, c’est fait, je n’y reviens pas pour te dire qu’il ne fallait pas le faire, puisque la chose est accomplie. Mais je trouve que tu n’as pas bonne grâce à te plaindre des résultats immédiats d’une résolution que tu as prise seule et malgré ces parents, amis et enfant dont tu sens l’absence aujourd’hui. L’enfant aurait dû te faire patienter, les amis l’auraient voulu, et les parents, car c’est moi dont tu parles, demandaient instamment que le moment fût mieux choisi, les motifs mieux prouvés, la manière plus douce et plus généreuse. Tu veux avaler des barres de fer et tu t’étonnes qu’elles te restent en travers de l’estomac. Moi, je trouve que tu es bien heureuse de les digérer sans être plus malade. Je ne vois pas que tu aies tant à te plaindre de tout le monde et que les amis que tu as été à même de te faire, en vivant loin de moi volontairement dans le monde, te soient restés plus fidèles que ceux qui te venaient de moi : que Clotilde, la seule parente qui me reste, eût beaucoup à se louer de tes faveurs ; et pourtant elle t’a ouvert un asile dans des circonstances où tout le monde eût reculé devant des scènes fâcheuses dont le hasard seul l’a préservée de la part de ton mari. Je ne vois pas que Lambert, que tu voulais jadis faire battre et tuer par ce même mari, ne t’ait pas montré, dans sa petite sphère d’assistance, beaucoup d’intérêt