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la maltraitant dans ses propos, parfois d’une manière inqualifiable, prétendant même qu’elle n’était pas fille de son père ! Elle poussait si loin la malignité et la rancune, qu’elle força George Sand à se tenir toujours sur ses gardes, à se défendre et à protéger Maurice contre elle, et cela très sérieusement. Mais après la mort de sa mère et surtout dans les années qui précédèrent sa propre mort, Solange s’efforça de se poser en enfant malheureuse et incomprise, en fille qui aurait passionnément aimé sa mère, mais qui n’en aurait point été appréciée et qui aurait souffert de sa « froideur ». Nous verrons combien cela est faux. Durant toute sa vie, à l’exception de sa toute première enfance, elle n’abreuva sa mère que de craintes, de chagrins, de grandes et de petites avanies, d’ingratitude, d’amertumes et de douleurs qui, maintes fois, poussèrent Mme Sand à un vrai désespoir devant l’abîme de méchanceté qu’était ce cœur « dont elle aurait voulu faire le sanctuaire et le foyer du bon et du bien[1] ». Solange fut néanmoins toujours malheureuse à la façon des égoïstes, incapables d’abandon et d’amour, n’exigeant que la tendresse des autres, mais assez intelligents pour s’affliger en voyant que cette tendresse leur échappe toujours et qu’ils restent seuls, éternellement seuls.

Dans l’étude de M. Rocheblave, nous trouvons une peinture impartiale du sort tragique de cette nature si grandement douée, nullement ordinaire, forte, volontaire et indomptable, mais d’une âme incomplète, qui ne fut réchauffée ni par le feu du génie, ni par une étincelle de simple tendresse féminine.

On ne doit pas toujours la juger sévèrement, c’est la nature et une éducation irrégulière qui la firent telle. Elle vit autour d’elle beaucoup de choses qu’une jeune fille aurait dû ne jamais voir. Son intelligence innée reçut un large développement, mais quant à ses instincts, ils ne furent contre-balancés par aucun code moral, et tandis que son esprit se nourrissait des doctrines et des théories sociales et humanitaires les plus diverses, elle n’apprit jamais à se plier ni à un principe, ni

  1. Corresp., t. II, p. 372.