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rédacteur de la Revue indépendante, de l’amie des poètes prolétaires, de l’auteur des articles socialistes et de l’adoratrice de la liberté politique des peuples. Dans une lettre de Balzac à l’Étrangère, écrite treize ou quatorze mois plus tard, le 31 janvier 1844, nous trouvons le reflet de cette même indignation républicaine, de cette même animosité de George Sand à l’égard de la Russie et des Russes. Balzac, à peine revenu de Pétersbourg, très sympathique à la Russie (patrie de son Ève chérie), et admirant, en artiste, maintes choses russes, — la beauté et le caractère privé de l’empereur Nicolas Ier, en première ligne, — dépeint les sentiments russophobes de George Sand fort humoristiquement, et avec une pointe de sarcasme bien marquée :

Il est impossible de dire plus de sottises qu’il ne s’en dit sur mon tour en Russie, et il faut laisser dire. Ce qui me cause le plus de contrariétés, c’est le sot rôle qu’on me donne, ainsi qu’aux plus grands personnages… Je ne peux même pas parvenir à établir que je n’ai pas eu l’honneur de voir l’empereur autrement que, comme dit Rabelais, un chien regarde un évêque, c’est-à-dire à la revue de Krasnoë-Sélo. Avant-hier, dînant avec G. Sand, je lui disais : « Si vous le voyiez, vous en tomberiez folle et vous passeriez d’un bond de votre bousingotisme à l’autocratie. » Elle était furieuse. On me questionne beaucoup partout ; mais je dis à tout le monde que je n’ai point d’impressions de voyage, étant excessivement ennuyé des impressions quand je pars. Et comme on ne me croirait pas si je ne faisais pas quelques épigrammes, je dis que, comme tous les gens très corrompus, les Russes sont extrêmement aimables et faciles à vivre, qu’ils sont excessivement littéraires, puisque tout se fait avec du papier et que c’est le seul pays du monde où l’on sache obéir. Oh ! si là-dessus vous aviez entendu ce qu’a fulminé George Sand, vous auriez bien ri ! Je l’ai tuée en pleine table par ceci : « Aimeriez-vous que dans un grand danger vos domestiques délibérassent sur ce que vous leur commandez de faire, sous prétexte que vous êtes frères et compatriotes du Tour de la Vie ?… » Vous savez l’effet de la goutte d’eau dans les raisonnements de la bouilloire ; le train philosophico-républico-communico-Pierre-Lerouxico-germanico-Deisto-Sandique s’est arrêté net. Alors Marliani a dit qu’on ne pouvait pas raisonner avec les poètes. « Vous l’entendez ? » ai-je dit à, George Sand en m’inclinant avec grâce. « Vous êtes un affreux satirique, a-t-elle dit, faites la Comédie humaine. »

« Moi, leur ai-je dit, je suis bon enfant ; j’admire tout ce qui est beau : Danton à l’échafaud, Socrate buvant la ciguë, d’Assas mourant,