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nombre d’hommes possible. Ceci serait l’idéal de l’existence. Mais, ajoute-t-elle :

… il me semble qu’au contraire la plupart d’entre nous, aujourd’hui, voyagent en vue du mystère, de l’isolement, et par une sorte d’ombrage que la société de nos semblables porte à nos impressions personnelles, soit douces, soit pénibles.

Quant à moi, je me mis en route pour satisfaire un besoin de repos que j’éprouvais à cette époque là particulièrement. Comme le temps manque pour toutes choses dans ce monde, que nous nous sommes fait, je m’imaginai encore une fois qu’en cherchant bien, je trouverais quelque retraite silencieuse, isolée, où je n’aurais ni billets à écrire, ni journaux à parcourir, ni visites à recevoir, où je pourrais ne jamais quitter ma robe de chambre, où les jours auraient douze heures, où je pourrais m’affranchir de tous les devoirs de savoir-vivre, me détacher du mouvement d’esprit qui nous travaille tous en France, et consacrer un ou deux ans à étudier un peu l’histoire et à apprendre ma langue par principes avec mes enfants[1].

Il est clair qu’au bout de très peu de temps « ce voyage au Midi prescrit par les médecins » à Chopin et cette recherche d’une « retraite silencieuse » par George Sand furent réunis et il fut décidé qu’on ferait le pèlerinage ensemble. Au commencement d’octobre encore George Sand écrivait au major Pictet qu’elle projetait de passer quelques mois en Italie, mais bientôt le but du voyage fut changé et les îles Baléares élues pour lieu de séjour, parce que les deux frères Marliani, Manuel et Enrico, leur ami M. Valdemosa, dont les parents habitaient Majorque, et un autre ami des Marliani encore, Mendizabal, homme politique espagnol très connu, exaltaient tous le climat, les beaux sites de la Balearis Major et l’hospitalité des insulaires.

À M. Jules Boucoiran, rue de l’Aspic, Nîmes.
Paris, 15 octobre 1838.

Cher enfant, nous partons de Paris le 18, nous serons à Lyon le 23, nous en repartirons le 25, et nous serons le 20 à Avignon ou à Arles,

  1. Un hiver à Majorque, p. 28-29.