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Ce ne sont que des passions exagérées, des sentiments défigurés. Le cachet de politesse chevaleresque et de courtoisie nous paraît maintenant tout aussi ridicule qu’il avait semblé ravissant jadis. Le Théâtre-Français a beaucoup baissé. Il n’y a que les médiocrités qui s’en occupent. Parmi ces pièces innombrables pas une seule création qui soit durable. Scribe est certes un grand talent. Son invention, l’enchevêtrement de l’intrigue sont superbes, mais ils sont basés sur une impression passagère. Il lui manque une action plus profonde. De tous ces auteurs dramatiques pas un seul ne tend à donner une signification plus profonde à ses œuvres.

— Peut-être Souvestre ? Mais il est sec et raide.

— Souvestre ? Oui, vous avez raison.

Bien contre mon gré, nous nous avançâmes sur le terrain de la littérature dramatique, plus qu’il n’était séant en parlant à l’auteur de Cosima si complètement échouée. George Sand avait voulu dans cette pièce intéresser notre banal public théâtral par une dialectique de sentiment plus subtil, mais elle se borna à l’intention, sans parvenir à donner corps à son idée, sans parvenir à se rendre maître du sujet, avec cette parfaite liberté dans l’exposition anecdotique qui doit, quel que soit le drame, y dominer la tendance. Sa Cosima s’écroula complètement parce qu’elle manqua de crochets et de crampons. J’aurais bien voulu abandonner ce thème incommode, mais nous y revenions toujours. Nous parlâmes de Schiller, de Shakespeare, du changement de décors, de l’ancien théâtre anglais, de Balzac. Elle se mit, par caprice, à louer Balzac.

— Le traduit-on beaucoup en Allemagne ? Il le mérite. Balzac est un homme d’esprit, il a énormément vécu et observé ! La tension dangereuse de la conversation diminua. George Sand mit son ouvrage de côté, remua les charbons et alluma une de ces cigarettes innocentes où il y a plus de papier que de tabac, plus de coquetterie que d’émancipation

— Vous êtes plus jeune que je ne le croyais, me dit-elle. Ce qui me permit, pour la première fois, de laisser mes regards aller furtivement se poser sur elle, à la lumière de la lampe, et de mieux me rendre compte de ses traits. Le portrait connu lui ressemble, mais l’original est bien moins fort, bien moins arrondi. Aurore Dudevant est un petit être animé, plus maladif et plus ressemblant à une gazelle que ne le laisse soupçonner cette gravure faite d’après une statue[1].

Elle ressemble un tout petit peu à Bettina[2].

  1. Nous ne saurions dire à quel portrait de George Sand fait ici allusion Gutzkow.
  2. Élisabeth Brentano, connue sous le prénom de Bettina, sœur du cé-