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M’en voulez-vous, mon cher monsieur Guillon, de vous avoir montré la crinière d’un vieux lion ? C’est qu’il faut bien que je vous le dise, George Sand n’est qu’un pâle reflet de Pierre Leroux, un disciple fanatique du même idéal, mais un disciple muet et ravi devant sa parole, toujours prêt à jeter au feu toutes ses œuvres pour écrire, parler, penser, prier et agir sous son inspiration. Je ne suis que le vulgarisateur à la plume diligente et au cœur impressionnable, qui cherche à traduire dans des romans la philosophie du maître. Otez-vous donc de l’esprit que je suis un grand talent. Je ne suis rien du tout, qu’un croyant docile et pénétré…

En réfutant en passant les potins sur son prétendu amour romantique pour Leroux, elle ajoute :

Je vous dis cela pour que vous sentiez bien que c’est un acte de foi sérieux, le plus sérieux de ma vie et non l’engouement équivoque d’une petite dame pour son médecin ou son confesseur. Il y a donc encore de la religion et de la foi en ce monde. Je le sens en mon cœur, comme vous le sentez dans le vôtre…

Puis elle dit enfin :

J’ai voulu que vous vissiez ma loi vivante — et je l’avais prié d’être bien net avec vous, parce qu’une heure de cette parole claire et pleine vous montre mieux mon être que ce que je ne saurais dire moi-même.

Très remarquable aussi, une autre lettre de cette même année 1844 adressée à un ecclésiastique, le père X…, qui est comme la profession du credo de Leroux et de Lamennais. On dirait un épilogue de Spiridion :

Nohant, 13 novembre 1844.
Monsieur le desservant,

Malgré tout ce que votre circulaire a d’éloquent et d’habile, malgré tout ce que la lettre dont vous m’honorez a de flatteur dans l’expression, je vous répondrai franchement, ainsi qu’on peut répondre à un homme d’esprit. Je ne refuserais pas de m’associer à une œuvre de charité, me fût-elle indiquée par le ministère ecclésiastique. Je puis avoir beaucoup d’estime et d’affection personnelle pour des membres du clergé, et je ne fais point de guerre systématique au corps dont vous faites partie. Mais tout ce qui tendra à la réédification du culte catholique trouvera en moi un adversaire, fort paisible à la vérité