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du daguerréotype, et un aussi grand maître que Mme Sand pourrait se passer de ces caprices, d’artiste un peu blasé[1]. Mais on voit clairement qu’elle en a eu jusque par-dessus la tête des socialistes, des communistes, de Pierre Leroux et autres philosophes ; qu’elle en est excédée et qu’elle se plonge avec délices dans la fontaine de Jouvence de l’art naïf et terre à terre…

Combien Tourguéniew était encore loin de nos exigences contemporaines qui réclament l’absolue individualité du langage de chaque personnage et l’absolue conformité de ce langage avec sa caste, sa profession, son train de vie, son éducation ! Remarquons encore qu’autant Tourguéniew dit vrai, lorsqu’il constate le désir de George Sand de faire une œuvre où les hommes ne fassent qu’un avec la nature, autant il est curieux que Tourguéniew ait signalé chez elle la fatigue, le désir de revenir à la jeunesse de l’art et à la terre bien avant les journées de juin (la lettre est du 17 janvier 1848). D’ailleurs Tourguéniew ne prévoyait nullement qu’à peine deux mois plus tard, dans sa Lettre aux riches, George Sand déclarerait, urbi et orbi, être justement communiste et que maintes fois encore, dans toute une série d’articles, elle se déclarerait l’adepte de cette doctrine.

Revenons encore à ce prétendu excès d’expressions berrichonnes incriminé par Touguéniew. Rollinat avait au contraire reproché à George Sand d’avoir fait parler Jeanne « comme tout le monde » ; en l’associant à la vie des « maîtres », elle l’avait forcée à s’exprimer d’une manière inusitée, et encore à penser autrement qu’elle ne le pouvait réellement. Donc Rollinat, à l’encontre des autres, ne trouvait pas le langage de Jeanne assez typique, et l’auteur, selon lui, avait ainsi péché contre la vérité artistique. Ce même ami était aussi mécontent de la Mare au Diable ; d’après lui on y « voyait encore trop l’auteur », ce qui nuisait à l’homogénéité de l’œuvre.

George Sand s’efforça donc d’écrire son Champi de manière

  1. Il est curieux de constater que Tourguéniew désapprouve la langue de ce roman pour les mêmes raisons que donnait plus tard Gustave Planche à sa désapprobation du style de Claudie. (Voir plus loin, p. 679.)