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Je ne comprends pas comment mon ami Henri Laube a pu, un jour, dans la Gazette universelle augsbourgeoise, me mettre dans la bouche l’assertion comme si l’adorateur de George Sand avait alors été le génial Franz Liszt[1]. L’erreur de Laube fut causée par l’association des idées, parce qu’il confondit les noms des deux pianistes également remarquables. Je profite de l’occasion pour rendre service, sinon au nom honorable, du moins à la réputation esthétique de

  1. Ces mots de Heine se rapportent au petit article de Laube Une visite chez George Sand, dans lequel il raconte leur visite avec Heine chez la célèbre femme, en 1839. Cet article parut en cette même année dans les colonnes de la Gazette d’Augsbourg et fut réimprimé plus tard dans les Souvenirs de Laube, qui forment les volumes I et II de ses œuvres complètes. Voici ce que Laube raconte : Dès son arrivée à Paris, il tâcha de pénétrer chez différentes célébrités du jour… Un jour, il demanda à Heine : « Connaissez-vous Mme Dudevant ? — Oh ! oui, répondit Heine, seulement voici deux ans que je ne l’ai vue, mais je la fréquentais souvent. — Mais est-ce que cette dame ne prendra pas mal votre oubli et ne vous recevra-t-elle pas mal aussi ? » (Laube ne savait pas sans doute que depuis l’hiver de 1836-1837, — lorsque Heine, comme nous le savons, la voyait souvent à l’hôtel de France, — Mme Sand passa tout le temps soit à Nohant, soit dans le Midi.) « Je ne le crois pas, dit Heine, elle demeure à Paris comme moi, et je lis toutes ses œuvres. — Et qui est donc son cavalier actuel ? » Heine répondit : « C’est Chopin, un virtuose-pianiste, un homme charmant, maigre, svelte, éthéré comme un fantôme, dans le genre d’un poète allemand, chantant la divine solitude (aus der Trosteinsamkeit). — Les virtuoses paraissent être dans son goût, remarqua Laube. Est-ce que Liszt n’a pas été longtemps son favori ? » Heine dit : « Elle cherche Dieu, or il n’est nulle part chez soi autant qu’en musique ; c’est quelque chose d’universel, cela ne tire pas à contradictions, ce n’est jamais bête, parce que cela n’a pas besoin d’être spirituel, il y a tout ce que l’on veut et ce que l’on peut, cela nous libère de l’âme qui nous tourmente, sans toutefois nous rendre inanimés (geistlos),… etc., etc. »
    Laube raconte plus loin comment il alla, quelques jours plus tard, en compagnie de Heine, faire une visite à Mme Sand, qui était encore au lit à deux heures, mais qui se leva bientôt et les reçut avec beaucoup de simplicité et de bonne grâce. Chopin lui prépara tout familièrement son chocolat dans la cheminée du salon, et pendant qu’elle l’avalait, arrivèrent Bocage, Sosthène de La Rochefoucauld et Lamennais, et une conversation fort animée s’engagea. Laube s’attendait à voir une virago, une « homme-femme » ; il vit une simple et charmante femme d’esprit et il garda un souvenir enthousiaste d’elle, de son accueil, et surtout de la dispute plus qu’intéressante entre Heine et Lamennais sur le spiritualisme et le sensualisme et sur les questions religieuses qui n’étaient pas seulement à l’ordre du jour en cette année où parut Spiridion, mais qui avaient de tous les temps été les plus chères et les plus importantes pour George Sand, — parce qu’elle « cherchait Dieu avidement », comme le remarque judicieusement Laube, et comme elle le confessa elle-même maintes fois…
    Tout récemment, le docteur Gustave Karpelès redit et cita d, ns le chapitre xxi de son intéressant et beau livre : Heinrich Heine. Aus se nem Leben and aus seiner Zeit (Leipzi, Adolf Titze, 1899), ce petit article de Laube en l’accompagnant de Notes que Laube lui communiqua par écrit et de vive voix.