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Mais à présent il est en avance de cette somme. Mme Marliani m’a prêté avec une amitié bien admirable environ trois mille francs. Voilà (sauf quelques petites dettes), mon bilan, chère amie. Vous voyez que je vous prends pour un homme d’affaires. Je vous expose en chiffres ma situation.

Je vous l’expose pour que vous me donniez un conseil. Ne puis-je pas accepter, avec les modifications que nous jugerons à propos, la proposition que son amitié et son zèle pour des travaux qu’elle croit utiles ont inspirée à Mme Marliani ? Elle pense qu’il serait possible de trouver cinq ou six amis sûrs et d’un caractère élevé, qui, en se réunissant, me prêteraient cette somme, qui m’est si nécessaire. Certes je ne veux pas tomber dans le discrédit et l’espèce de ridicule qu’une trop grande facilité à emprunter me donnerait. Vous avez bien senti cela, et vous avez, je crois, insisté de ce côté avec notre amie. Je vous en remercie. Mais que dois-je faire ? Je ne puis d’un jour à l’autre changer ma situation… Il y a donc à espérer, avec la grâce de Dieu, que dans quelques mois je reprendrai le Napoléon ou toute autre besogne qui me sera plus avantageuse que la philosophie pure.

Mais il faut franchir ce passage et c’est ici que le courage ne me sert à rien.

Aux yeux de bien des gens, je suis un insensé d’avoir fait obstinément de la philosophie quand la misère me talonne si rudement tous les jours ; et je suis coupable d’avoir eu recours, dans le besoin, à mes amis. Que Dieu bénisse ces braves jugeurs ! Moi, je crois que le monde étant fort mal organisé sous le rapport du travail, comme sous tous les rapports possibles, je ne puis être irréprochable. Je sens que je ne vis pas bien de cette façon, et que cet état où l’individu dépend matériellement des autres hommes n’est pas normal. Mais je l’accepte comme un malheur, tout en tâchant de m’y soustraire.

Vous, chère amie, qui ne jugez pas comme le vulgaire, mais qui avez autant de goût que d’indépendance et de force d’âme, conseillez-moi. Vous êtes hors de la question que je vous pose, tandis que moi je suis dedans et aveuglé par conséquent. Parlez de nouveau de cela avec notre excellente amie. J’irai vous voir dans deux ou trois jours. Vous me direz ce que vous pensez. Ne me répondez pas, parce que votre lettre pourrait venir à la maison quand je n’y serais pas, et être ouverte.

Votre ami,
P. Leroux.

Il écrit un peu ultérieurement, le 11 juin 1841, de la Châtre :

J’ai été hier voir Nohant, chère amie, et je vous écris de la Châtre. Je pars ce soir, quand vous arriverez dans trois jours. Ainsi veut le