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marquis, hidalgos, ogres, pierrots, soubrettes et princesses. À peine le grand pianiste s’en aperçut-il, que sans perdre une seconde, il attaqua un boléro improvisé, au son duquel tous ces soi-disant Espagnols et Gitanos se mirent à exécuter les pas les plus fantastiques que l’on puisse imaginer. Puis, vint un autre air de ballet ; de nouvelles danses s’improvisèrent. Et l’artiste de génie et les jeunes danseurs se sentirent grisés par leur succès. Le lendemain, le spectacle improvisé recommença : le corps de ballet de la veille hasarda plusieurs soli et même quelques scènes mimées, tantôt drôles, tantôt sentimentales. Dès que l’un des danseurs changeait de costume, confectionné avec autant de spontanéité que de simplicité (quelques défroques de couleur en faisaient les frais), aussitôt Chopin adaptait son jeu à ce nouvel aspect du danseur, et cette nouvelle improvisation inspirait à son tour quelque nouveau pas aux jeunes disciples de Terpsichore[1]. On se mit à jouer des pantomimes entières accompagnées par cette adorable musique. Puis, on exécuta, outre les danses, des scènes dialoguées improvisées. Lorsque Chopin reprit ses leçons à Paris, on continua pendant quelque temps les danses, Mme Sand s’étant chargée du piano ; puis on abandonna les danses et on s’adonna à de vrais spectacles dans le genre de l’ancienne commedia dell’ arte italienne, on joua des pièces improvisées d’après un scénario arrêté et discuté d’avance par tous les acteurs. Bientôt on ne pensa et on ne parla plus d’autre chose à Nohant. Généralement le sujet de la pièce du soir était débattu pendant le dîner : l’un ébauchait un scénario, les autres son développement, on rejetait une idée, on en proposait une autre et le soir ou le lendemain on jouait[2]. La troupe primitive grandit bientôt. Emmanuel Arago y débutait pendant ses vacances en 1846. L’imprésario, c’est-à-dire Maurice Sand, envoyait une invitation aux Duvernet père, mère et fille, ou aux Dutheil, père et deux fils. Quant à Mme Sand, comme nous l’avons dit au chapitre vi, de spectatrice elle devint actrice et

  1. V. George Sand, sa vie, etc., vol. III, chap. vi, p. 509.
  2. C’est tout à fait la manière de procéder pratiquée de nos jours par les sociétaires du Théâtre Artistique de Moscou.