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Chopin). Il manque, de plus, de probabilité, jurant complètement avec la retenue et la réserve habituelles de Chopin, incapable d’y renoncer tout à coup devant un inconnu. Il est de même tout à fait improbable qu’en donnant plus tard à Lenz un autographe, tracé sur la première feuille de la Valse mélancolique, Chopin si peu prodigue de lettres et même de billets, ait dit qu’il ne s’abstenait d’écrire, que « parce que Mme Sand écrivait si bien, qu’on n’avait pas le droit d’écrire… ».

Si on imitait le style de Lenz, on déclarerait que tout cela, a pour être ben trovato, n’est nullement vero et pas même véridique ». De plus, autant Lenz est sérieux et mérite toute confiance quand il traite la musique pure (quoiqu’il tombe parfois dans la métaphysique musicale et dans un certain mysticisme), autant il est insipide quand il veut être un « aimable conteur », à la manière des feuilletonistes de 1840-1850, chose absolument insupportable pour un lecteur contemporain. Grâce à cette constante préoccupation de faire de l’esprit et des mots, Lenz se rend parfois ridicule à son insu. C’est ce qui lui arriva avec George Sand. L’incident rapporté par Lenz n’en est pas moins très précieux pour le biographe, parce qu’il reflète (quoique ce soit dans un miroir concave) des faits et des états d’âme très réels. Ceci passé, laissons la parole à l’auteur de Beethoven et ses trois styles :

Enfin je pus me rendre chez Chopin. La cité d’Orléans est une nouvelle bâtisse de grandes dimensions, avec une vaste cour, première entreprise de ce genre, un composé d’appartements numérotés, et quant au nom (cité) les Parisiens en ont toujours un de prêt ! La cité était située derrière la rue de Provence, dans le beau quartier de Paris. Cela avait l’air si distingué et c’est cela qui était et qui est encore l’important à Paris… Dans la cité d’Orléans, où demeurait Chopin, habitaient aussi Dantan, George Sand, Pauline Viardot. Le soir ils se réunissaient dans la même maison, chez une vieille comtesse espagnole, une émigrée politique. Le tout comme Liszt me l’avait raconté. Une fois Chopin me prit avec lui. Dans l’escalier il me dit : « Vous devez jouer quelque chose, mais rien de moi ; jouez votre chose de Weber. » (L’Invitation à la valse.)

George Sand ne dit pas un mot lorsque Chopin me présenta. C’était peu aimable. C’est justement pour cela que je m’assis à côté d’elle.