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elles seraient hors de place. Magu est un esprit calme, qui se venge de l’inégalité sociale par une malice si charmante, que nul ne peut s’en offenser, et qui se résigne à son sort avec une patience, une modestie et une douceur pleines de grâces touchantes et fines… Personne n’a pu adresser à Magu les reproches dont nous voudrions excuser comme il convient ses confrères, les nobles poètes ouvriers. Tout le monde a remarqué, au contraire, que Magu était, dans ses vers comme dans sa vie, un véritable ouvrier ; qu’il ne faisait aucun effort pour parler la langue des hommes savants et que celle des muses naïves lui arrivait toute naturelle, tout appropriée à sa condition, à ses habitudes, à son mode d’existence. La poésie s’est révélée à lui sous la véritable forme qu’elle devait prendre au village, au foyer rustique, au métier du tisserand…

Depuis quelques années seulement il est devenu célèbre, sans savoir comment, et en s’étonnant beaucoup que ses pauvres rimes, comme il les appelait, eussent trouvé de nombreux admirateurs et conquis un public. Fêté et choyé dans plusieurs salons de Paris, visité dans sa maisonnette par de beaux esprits et de belles dames, il n’en fut pas plus fier. Plein de goût, de gaieté, de naturel et de droiture, le bonhomme frappe tout le monde par l’entrain spirituel de sa conversation et par le charme de ses lettres affectueuses et remplies de le divination des véritables convenances. Il ne faut pas voir plus de dix minutes le tisserand de Lizy pour être convaincu de la supériorité de son intelligence, non seulement comme poète, mais comme homme de vie pratique. Il n’a dépouillé ni les habits, ni les manières de l’artisan ; mais il sait donner tant de distinction à son naturel qu’on s’imagine voir un de ces personnages qu’on n’avait rencontrés que dans les romans ou sur le théâtre, parlant à la fois comme un paysan et comme un homme du monde et raisonnant presque toujours mieux que l’un et que l’autre.

Peu de poètes ont inspiré autant de bienveillance et de sympathie. C’est que ses vers respirent l’un et l’autre sentiment. Ils sont si coulants, si bonnement malins, si affectueux et si convaincants qu’on est forcé de les aimer, et qu’on ne s’aperçoit pas de quelques défauts d’élégance ou de correction. Il y en a de si vraiment adorables qu’on est attendri et qu’on n’a pas le courage de, rien critiquer…

Magu fut certes très heureux de cette préface, dont nous ne donnons que quelques passages, il s’empressa de remercier Mme Sand par la lettre suivante datée du 3 janvier 1845[1] :

  1. Il faut noter que la préface de Mme Sand, qui fait maintenant partie du volume des Questions d’art et de littérature, est datée du 4 janvier 1845.