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fique. Mais ce mois de mai ne veut pas se décider à tenir les promesses du mois d’avril. On dit que c’est excellent pour les biens de la terre, à la bonne heure !

Heureusement la maisonnette est bien close et bien habitable, quelque temps qu’il fasse, et j’y travaille quand il pleut. Aujourd’hui c’était grande fête ici : nous avons vu, en déjeunant, une procession très pittoresque sur le chemin qui descend devant la fenêtre de l’hôtel Malasset ; les enfants en avant, puis les hommes, puis les femmes et ensuite une foule de femmes, de vieillards et d’enfants par trois et quatre à la fois sur des chevaux et sur des ânes, sans selle ni bride. Nous avions à déjeuner la famille Vergne, avec qui nous avons fait ensuite une belle promenade par un tems couvert ; nous sommes rentrés au moment où la pluie commençait, et, ce soir, tous les vents de la montagne sont déchaînés et le ruisseau grossi par la pluie chante comme un perdu.

J’ai été malade en arrivant ici, je ne sais de quoi. J’ai dormi dix-huit heures et je suis tout à fait vaillante, car j’ai marché comme un Basque aujourd’hui. Ce pays est toujours attrayant ; tous les jours on y découvre des sites superbes ou des recoins charmants et bizarres. Ma petite chambre microscopique me plaît beaucoup. De mon lit je vois la lune se coucher dans un bois tout noir au haut de la colline. Et puis on est très aimable pour nous dans le village. Nous en sommes, tout à fait, à présent. Tous les enfants chassent la chenille et apportent souvent des choses intéressantes. Manceau les met à l’ordre et donne des récompenses selon la trouvaille, rien si la chenille n’est pas apportée fraîche et bien portante dans une feuille, rien si elle est commune. Un beau jour, tout le village fera partie de la Société entomologique.

Nous ne savons pas au juste quel jour nous repartirons. Mais à la fin de la semaine nous serons à Nohant, tu peux nous y écrire alors. Mais j’espère recevoir de tes nouvelles ici auparavant. Il faut écrire par Eguzon. Autrement, c’est un jour de retard à Argenton. J’ai beaucoup pensé à tes sujets fantastiques la nuit que j’étais malade, et que je ne dormais pas. Il y avait dans le ciel et sur l’horizon, les animaux les plus bizarres dans les nuages et dans les silhouettes des branches ; et je voyais très bien tous les dessins en nature.

Bonsoir, mon cher Bouli, travailles-tu bien ? Moi, j’espère finir ici mon roman. Manceau, qui n’a pas voulu sortir un instant pendant que j’étais patraque, a dessiné des chenilles eu quantité et dans une grande perfection de fini et d’exactitude. Marie des poules[1], soigne celles

  1. Cette « Marie » était Marie Caillaud, qui joua plus tard un grand rôle à Nohant. Elle avait commencé par être gardeuse de basse-cour et laveuse de vaisselle ; puis Mme Sand se mit à lui enseigner à lire et à écrire, lui trouvant une rare intelligence ; plus tard elle la prit comme femme de chambre ;