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et chante presque aussi bien que Rubini. Il nage comme un poisson. Il fait de l’escrime comme un maître d’armes. N’ayant jamais pris brides en mains, il se trouve être d’inspiration un cocher admirable, fait accomplir à une paire de chevaux fougueux des tours d’adresse dans les chemins alpestres les plus vertigineux, au milieu de descentes et de montées, de torrents et de ponts croulants. Il est né acteur comique et sait en un clin d’œil improviser des scènes burlesques. Il soutient avec le curé des controverses théologiques et lui confectionne des plats gastronomiques, mais il sait aussi marivauder de la manière la plus exquise avec la magnifique Sabina. Il la rend amoureuse de lui, lui fait perdre la tête et se fait accorder un baiser. Puis, généreusement, il la ramène, après une si rude leçon pour sa fierté et son amour-propre, dans les bras de son adorateur. Lui s’en va avec sa petite fiancée, la contrebandiste, qu’il sait, parfait chevalier qu’il est, respecter et garder envers et contre tous, et envers lui-même !

Bref, ce Tévérino est la réunion de toutes les vertus, de tous les charmes et de tous les talents. Tout cela serait ridicule (et les interminables élucubrations de Léonce et de Sabina sur l’amour simplement ennuyeuses), si toutes ces aventures — qui se passent de l’aube d’un jour jusqu’à deux heures après midi du lendemain — n’étaient narrées avec une verve et un brio qui font pardonner à l’auteur son invraisemblable héros.

George Sand dit, dans la préface de Tévérino, qu’elle a peint un type invraisemblable pour les personnes de la haute société, mais connu de tous ceux qui ont fréquenté les artistes, un type d’artiste à l’état latent, apte à toute chose et ne se vouant exclusivement à aucune spécialité. Elle voulait encore prouver que ces natures bien douées gardent souvent, au milieu de la plus dégradante misère et au milieu d’expédients et d’aventures, une exquise délicatesse de sentiments, un cœur pur et simple. Elle voulait surtout prouver que toujours, dans toutes les positions, au milieu de toutes les misères et en dépit du passé le plus abject, un être humain peut se relever et s’élever. Idée toute chrétienne. On ne peut pas dire pourtant