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vantage et se fera haïr de Solange. Tout cela est difficile et délicat et je ne sais aucun moyen de calmer et de ramener une âme malade qui s’irrite des efforts qu’on fait pour la guérir. Le mal qui ronge ce pauvre être au moral et au physique me tue depuis longtemps, et je le vois s’en aller sans avoir jamais pu lui faire du bien, puisque c’est l’affection inquiète, jalouse et ombrageuse qu’il me porte, qui est la cause principale de sa tristesse. [Il y a sept ans que je vis comme une vierge avec lui et les autres, je me suis vieillie avant l’âge et même sans effort ni sacrifice, tant j’étais lasse de passions et désillusionnée, et sans remède. Si une femme sur la terre devait lui inspirer la confiance la plus absolue, c’était moi, et il ne l’a jamais compris ; et je sais que bien des gens m’accusent, les uns de l’avoir épuisé par la violence de mes sens, les autres de l’avoir désespéré par mes incartades. Je crois que tu sais ce qui en est. Lui, il se plaint à moi de ce que je l’ai tué par la privation, tandis que j’avais la certitude de le tuer si j’agissais autrement.] Vois quelle situation est la mienne dans cette amitié funeste, où je me suis faite son esclave, dans toutes les circonstances où je le pouvais sans lui montrer une préférence impossible et coupable sur mes enfants [où ce respect que je devais inspirer à mes enfants et à mes amis a été si délicat et si sérieux à conserver. J’ai fait, de ce côté-là, des prodiges de patience dont je ne me croyais pas capable, moi qui n’avais pas une nature de sainte comme la princesse.] Je suis arrivée au martyre ; mais le ciel est inexorable contre moi, comme si j’avais de grands crimes à expier, car au milieu de tous ces efforts et de ces sacrifices, celui que j’aime d’un amour absolument chaste et maternel, se meurt victime de l’attachement insensé qu’il me porte.

Dieu veuille, dans sa bonté, que, du moins, mes enfants soient heureux, c’est-à-dire bons, généreux et en paix avec la conscience ; car pour le bonheur, je n’y crois pas en ce monde, et la loi d’en-haut est si rigide à cet égard que c’est presque une révolte impie que de songer à ne pas souffrir de toutes les choses extérieures. La seule force où nous puissions nous réfugier, c’est dans la volonté d’accomplir notre devoir…

Parle de moi à notre Anna et dis-lui le fond de mon cœur, et puis brûle ma lettre. Je t’en envoie une pour ce brave Guttmann, dont je ne sais pas l’adresse. Ne la lui remets pas en présence de Chopin, qui ne sait pas encore qu’on m’a appris sa maladie et qui veut que je l’ignore. Ce digne et généreux cœur a toujours mille délicatesses exquises à côté des cruelles aberrations qui le tuent. Ah ! si un jour Anna pouvait lui parler et creuser dans son cœur pour le guérir. Mais il se ferme hermétiquement à ses meilleurs amis. Adieu, cher, je t’aime. Compte que j’aurai toujours du courage et de la persévérance et du