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ne le réjouissaient le parfum des orangers, la grâce des pampres et la cantilène mauresque des laboureurs…[1].

Nous nous permettons de citer ici en entier le jugement de Mme Sand sur le caractère du grand musicien, quoique Mme Sand n’ait pu juger complètement ce caractère, après ces quelques mois de vie en commun, mais bien au bout de plusieurs années :

Il en était ainsi de son caractère en toutes choses. Sensible un instant aux douceurs de l’affection et aux sourires de la destinée, il était froissé des jours, des semaines entières par la maladresse d’un indifférent ou par les menues contrariétés de la vie réelle. Et, chose étrange, une véritable douleur ne le brisait pas autant qu’une petite. Il semblait qu’il n’eût pas la force de la comprendre d’abord et de la ressentir ensuite. La profondeur de ses émotions n’était donc nullement en rapport avec leurs causes[2]. Quant à sa déplorable santé, il l’acceptait héroïquement dans les dangers réels, et il s’en tourmentait misérablement dans les altérations insignifiantes. Ceci est l’histoire et le destin de tous les êtres en qui le système nerveux est développé avec excès. Avec le sentiment des détails, l’horreur de la misère et les besoins d’un bien-être raffiné, il prit naturellement Majorque en horreur au bout de peu de jours de maladie. Il n’y avait pas moyen de se remettre en route, il était trop faible. Quand il fut mieux, les vents contraires régnèrent sur la côte, et pendant trois semaines le bateau à vapeur ne put sortir du port. C’était Tunique embarcation possible, et encore ne F était-elle guère. Notre séjour à la chartreuse de Valdemosa fut donc un supplice pour lui et un tourment pour moi. Doux, enjoué, charmant dans le monde, Chopin malade était désespérant dans l’intimité exclusive. Nulle âme n’était plus noble, plus délicate, plus désintéressée ; nul commerce plus fidèle et plus loyal, nul esprit plus brillant dans la gaieté, nulle intelligence plus sérieuse et plus complète dans ce qui était de son domaine ; mais en revanche, hélas ! nulle humeur n’était plus inégale, nulle imagination plus ombrageuse et plus délirante, nulle susceptibilité plus impossible à ne pas irriter, nulle exigence

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p. 442.
  2. Une grande artiste, qui avait beaucoup connu Chopin, s’est exprimée sur ce côté maladif de son caractère d’une manière plus résolue et qui correspond à la définition scientifique de ces phénomènes nerveux : « Il était hystérique, oui, je soutiens le mot, hystérique, sujet à des emportements et des crises capricieuses insupportables. » Or, la science nous enseigne que l’hystérie se manifeste justement par le désaccord entre la gravité des phénomènes nerveux et les causes souvent minimes qui les produisent.