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L’abbé Spiridion, ou Hébronius[1], passa du judaïsme au christianisme, d’abord dans sa forme première, — le catholicisme ; puis il traversa le protestantisme, pour arriver à une espèce de déisme chrétien, à la conception individuelle et libre des dogmes et de la morale. En mourant il confia son secret à son disciple préféré, Fulgence. Celui-ci, cœur aimant, mais esprit timide, ne fut point capable de poursuivre l’œuvre spirituelle de Spiridion, il ne fit que pieusement garder son secret et le légua fidèlement à son tour à Alexis. Alexis entra jadis au couvent comme Angel, — le cœur ouvert et l’esprit avide de vérité. Il rêvait d’y trouver la paix de l’âme et une doctrine inébranlable. Il n’y trouva que des doutes, des aspirations vers la lumière, des désillusions. Du croyant orthodoxe, du novice timoré, étouffé par les tenailles du dogme et du culte, du moine soumis, ne raisonnant point, acceptant tout, n’osant point vérifier ses croyances par la réflexion, désespéré de les voir s’ébranler, se dégage d’abord un homme qui veut plier toute son existence à des croyances raisonnables, mais qui ne peut encore, comme les autres protestants, se défaire de certains dogmes arriérés (la croyance au pouvoir du diable et aux tortures de l’enfer). Puis, progressivement, son esprit se libère de ces entraves, il conçoit le fond essentiel de la religion, — en dehors de telle ou telle doctrine, — et il arrive enfin à la conclusion qu’aucune des religions existantes ou ayant existé ne possède la vérité, mais que chacune en possède une partie, que toutes mènent l’humanité à la connaissance progressive de cette vérité et de nos vrais rapports avec Dieu, la nature et nos semblables. Les hommes empêchèrent eux-mêmes la vérité de se révéler avec toujours plus de clarté et de force. Ils ont craint, poursuivi, persécuté de tout temps ceux qui la cherchent, ils les jettent en prison, et les tuent. Mais la vraie religion triomphera peu à peu. La vraie doctrine du christianisme, obscurcie par toutes sortes de dogmes, de pratiques et de fausses interprétations, demeure la

  1. Il est à noter que dans le manuscrit primitif Hébronius ou Spiridion portait le nom de Pierre d’Engelwald, le même que portait le héros du roman écrit en 1836 et détruit plus tard par George Sand.