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revenir après avoir vu la société qui rampe autour d’elle. Il rien avait guère envie, mais comme il est le prince des maris, il a cédé à mon désir sur ce point.

Elle paraît vivre, comme entourage, dans l’abomination de la désolation : des foules d’hommes mal élevés l’adorent à genoux bas entre des bouffées de tabac et en lançant leur salive, mélange de loqueteux groupés autour du haillon rouge et de cabotins du dernier ordre. Elle est si différente, si loin de tous, si seule dans son dédain mélancolique. J’ai été profondément intéressée par cette pauvre femme. J’ai senti une compassion immense pour elle. Je ne m’occupais guère du Grec en costume grec qui la tutoyait et l’embrassait, je crois (à ce que dit Robert), ou de cet autre homme de théâtre si vulgaire qui se jetait à ses pieds en l’appelant « sublime ». Caprice d’amitié, disait-elle avec son mépris tranquille et doux. C’est une noble femme qui marche ainsi dans la boue bien sûrement ! Je voudrais aussi m’agenouiller devant elle, si elle consentait à laisser tout cela, à rejeter loin d’elle ce qui est indigne et rester seulement elle-même, telle que Dieu l’a faite.

Quoiqu’il ne faille aucunement se souvenir à ce propos du proverbe : « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es », il n’en est pas moins sûr, qu’en vivant continuellement en telle compagnie, Mme Sand s’habituait à son insu à ne pas faire attention aux apparences ; ne voulant voir que le fond, généralement bon et estimable, elle tâchait de passer sur certains détails extérieurs, fût-ce une mise peu élégante ou même malpropre, un langage peu choisi, des allures débraillées, des éclats de rire trop retentissants ou trop grossiers, des vociférations, des disputes. Nous soulignons ici, une fois de plus, le côté bohème de son entourage, dont nous avons déjà parlé au début de ses relations avec Chopin. Le lecteur a dû voir dans les chapitres précédents combien les idées émancipatrices et leurs adeptes — gens de conditions les plus diverses et surtout politiques de profession — entouraient alors Mme Sand et jouaient le premier rôle dans son existence et dans ses aspirations.

Dans les premières années de leur vie commune, 1838-1842, l’influence de Chopin, les intérêts purement artistiques et philosophiques auxquels George Sand était elle-même portée par sa nature, l’emportèrent sur les tendances politiques ou sociales, puis ce fut le tour de ces dernières. Chopin partageait