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l’anniversaire de Molière : un comédien doit être excommunié ; mais Napoléon aussi fut un grand homme. Il a bien parfois contrarié les ultramontains : on avisera à supprimer sa fête.

— Mais non, me dit-on, c’est autre chose. Vous ne devinez pas ?

Non, je ne devine pas le rapport qui peut exister entre Shakespeare et la police de sûreté. Moi qui défendais le dix-neuvième siècle ! Mon Dieu, mon Dieu, qu’elles sont longues, les racines du moyen âge ! Mais que t’importe le banquet, ô divin Shakespeare ? Tu as le livre de Victor Hugo…

Et Mme Sand termine sa Lettre par ce passage tout pareil à celui du commencement :

Moi je reviens, non d’un banquet fameux, mais d’un fameux banquet, la nature en fête, le mois d’avril dans une oasis, et j’en rapporte un grand bien-être, beaucoup de parfums dans la tête et d’harmonies dans les oreilles. Il n’y a pas jusqu’aux grelots rythmiques de ces petits chevaux blancs qui ne m’aient bercé d’une riante chanson. Au fond de tout cela, sans doute, il y avait l’impression produite par le livre ; je ne sais quoi de fort émane pour moi de ces grandes audaces de personnalité…

Cette Lettre est datée du 25 avril 1864. Or le 24 avril parut, dans le Temps, une lettre de Mme Sand À propos du banquet shakespearien qui devait être lue au banquet, et George Sand s’y adressait à ses « frères en Shakespeare » qui avaient eu l’excellente idée de se réunir pour fêter « un grand mort », elle les priait de

porter en son nom la santé du divin Shakespeare, celui de nous tous qui se porte le mieux, car il a triomphé de Voltaire quand même et il est sorti sain et sauf de ses puissantes mains…

Une autre fois — continuait George Sand — nous fêterons Voltaire quand même, vu qu’il a triomphé de bien d’autres. Notre gloire à nous sera d’avoir replacé nos maîtres dans le même panthéon et d’avoir compris que tout génie vient du même Dieu, le Dieu à qui tout beau chemin conduit et dont la vérité est le temple…

C’est ainsi qu’en 1864 George Sand parla par deux fois de Shakespeare, ce qui n’est point étonnant si l’on considère qu’elle avait toujours admiré le grand poète britannique. Rappelons qu’en 1837, presque au début de sa carrière, elle écrivit une