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siez ici. J’ai fait mon possible pour que vous y consentissiez et je ne peux pourtant pas vous attirer chez moi comme dans un guêpier où vous recevriez tous les jours quelques piqûres. Je vous ai vue pleurer pour tout cela, je vous ai vue plusieurs fois gênée, triste, au supplice, quand vous aviez quelque chose comme cela sur le cœur. Vos yeux étaient pleins de larmes parce qu’il vous arrachait un couteau des mains. Toutes ces petites souffrances vous seraient peut-être intolérables à la campagne, et moi je ne les supporterais pas, je ne pourrais pas m’empêcher de prendre votre parti et de me fâcher tout haut et très fort. Je crains donc des orages, parce que je vois qu’il y est disposé et je n’ose plus vous engager à venir. Vous ne pensez pas, j’espère, que ce soit dans la crainte de voir mon repos troublé, je n’ai jamais eu de repos et je n’en aurai jamais avec lui. D’ailleurs j’ai du courage et pour mon compte je ne sais reculer devant aucun devoir d’amitié, mais je ne voudrais pas vous tromper sur les petits chagrins que vous pourriez éprouver ici ; ce serait, je le crois, un égoïsme que vous auriez le droit de me reprocher. J’aime mieux avoir le courage de vous dire : Ne venez pas encore. Je vous écrivais, il y a huit jours, le contraire. Je croyais que la piqûre était fermée. Mais quand j’ai annoncé avec beaucoup de joie en recevant votre dernière lettre que vous paraissiez consentir à venir, j’ai bien vu qu’on faisait une drôle de grimace et que cela ne se raccommoderait pas si vite. Vous me demanderez : pourquoi piqué, pourquoi indisposé contre vous ? Si je le savais, je saurais où est la maladie et je pourrais la guérir ; mais avec cette organisation désespérante, on ne peut jamais rien savoir. Avant-hier, il a passé la journée entière sans dire une syllabe à qui que ce soit. Était-il malade ? Quelqu’un l’avait-il fâché ? Avais-je dit un mot qui l’eût troublé ? J’ai eu beau chercher, moi qui connais aussi bien que possible maintenant ses points vulnérables, il m’a été impossible de rien trouver et je ne le saurai jamais, non plus qu’un milliard d’autres choses pareilles dont il ne sait peut-être rien lui-même. Cependant comme un effet sans cause ne peut pas durer, je persiste à croire qu’il oubliera son humeur contre vous et qu’il redeviendra ce qu’il était auparavant, vous aimant et disant du bien de vous à toute heure. Quant à moi, je ne passerai jamais condamnation là-dessus et je ne cesserai pas de lui dire qu’il est injuste et fou en cela.

Bonsoir, bien chère petite. Ne me répondez pas à tout cela, les lettres arrivent le malin, moi je vous écris la nuit, c’est différent !

À vous de cœur, amitiés bien tendres à Wz… Je charge son amitié de vous consoler de cette blessure que je suis obligée de vous rouvrir ; que la mienne vous fasse aussi un peu de bien ; comme je veux toujours vous laisser l’honneur du camp, je persiste à dire que je vous invite et que je vous espère. Je ne veux pas qu’il se croie le maître. Il