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Karol était assis sur le bord de son lit, la figure tournée et enfoncée dans les coussins en lambeaux, ses manchettes, son mouchoir avaient été mis en pièces par ses ongles crispés et frémissants comme ceux d’un tigre : sa figure était effrayante de pâleur, ses yeux injectés de sang. Sa beauté avait disparu comme par un prestige infernal. La souffrance extrême tournait chez lui à une rage d’autant plus difficile à contenir qu’il ne se connaissait pas cette faculté déplorable et que, n’ayant jamais été contrarié, il ne savait point lutter contre lui même…

Enfin, dans les dernières pages du roman, nous voyons reflétés cette même rupture morale et ce même esprit de jugement dont les indices se laissent sentir dans la lettre de Chopin à ses parents du 11 octobre 1846[1] et dans plusieurs autres lettres de la même époque.

Karol… trouva enfin moyen de lutter contre les idées, les études et les opinions de la Floriani. Il la persécutait poliment et gracieusement sur toutes choses, il n’était de son goût et de son avis sur aucune… La pauvre Floriani vit sa dernière consolation empoisonnée, lorsque l’esprit de contradiction et l’âpreté d’une controverse puérile et irritante la poursuivirent jusque dans le sanctuaire de sa vie le plus respectable et le plus pur… Elle avait tort de consentir à ce que Celio fût comédien, c’était un métier infâme. Elle avait tort d’enseigner le chant à Béatrice et la peinture à Stella : des femmes ne doivent point être trop artistes. Elle avait tort de laisser le père Ménapace amasser de l’argent ; enfin elle avait tort de ne pas contrarier la vocation et les instincts de tous les siens, outre qu’elle avait tort d’aimer les animaux, de faire cas des scabieuses, de préférer le bleu au blanc, que sais-je ! elle avait tou joins tort…

L’auteur de Lucrezia et l’auteur de l’Histoire arrivent à la même conclusion : ils prononcent l’arrêt sur toute cette longue période d’années passées avec Chopin : rien n’y fera plus, on ne peut rien changer, tout est désormais inutile, irréparable. Il n’y a plus d’espoir, plus d’illusion, plus de rêves de bonheur.

Elle essaya de tout, de la douceur, de l’emportement, des prières, du silence, des reproches. Tout échoua. Si elle était calme et gaie en apparence, pour empêcher les autres de voir clair dans son malheur,

  1. Nous la citons plus loin.