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zoleto ; tantôt il est jaloux du comte Zustiniani qui fait la cour à Consuelo, et tantôt il courtise lui-même la maîtresse du comte, la coquette et froide Corilla, — un soprano, — parce qu’il espère en la séduisant se créer une position au théâtre[1]. Un jour, il vénère Consuelo, il admire son talent, le lendemain, il envie ses succès, et serait capable de trahir la promesse qu’il fit à sa mère mourante. Bref, c’est une nature d’artiste impressionnable, vaniteuse, avide surtout de clinquant. Quelques fiascos, très mérités, dus à son arrogance, à sa fatuité et à sa paresse, l’aigrissent contre Consuelo. Corilla, devenue sa maîtresse, attise le feu en lui insinuant qu’il restera toujours dans l’ombre, éclipsé par les rayons d’un astre tel que Consuelo. Tous ses mauvais instincts se réveillent et ses rapports envers Consuelo deviennent impossibles. Coupable envers son irréprochable amie, il l’offense par des soupçons, prétendant qu’elle encourage les assiduités de Zustiniani ; Porpora la convainc de l’infidélité d’Anzoleto. Blessée dans ses sentiments et dans ses croyances les plus pures, profondément malheureuse, Consuelo fuit Venise au moment de ses plus brillants succès au théâtre, laissant à Anzoleto le loisir de se tirer comme il l’entend de ses multiples intrigues. Porpora favorise la fuite de son élève et l’envoie d’abord à Vienne, chez l’ambassadeur vénitien

  1. Il est à remarquer que Consuelo a une voix de mezzo-soprano d’un diapason extraordinaire, également propre aux fioritures les plus surprenantes et au chant large et dramatique, tout comme Mme Viardot qui chantait avec un égal succès les rôles lyriques, comiques, tragiques et dits de soprano-leggiere, les parties de contralto, de mezzo-soprano et de soprano aigu : Rosine, Amine, Desdémone, la Lucia, la Fidès, la Norma — et le rôle travesti de Vania dans la Vie pour le tsar. Il est curieux également de noter qu’ayant pour la première fois abordé le rôle de la Norma en Espagne, la grande artiste écrivait à Mme Sand : « Ce soir, troisième de la Norma. Vous voyez que j’ai fait une conquête en plein domaine de la Corilla, et je puis bien dire à vous, tout bas, à l’oreille, que ç’a n’a pas été de ma part trop téméraire. Dans tous les cas, cela m’a été fort utile comme progrès et comme préparation pour paraître dans ce rôle devant un public plus important. D’ailleurs, ce public, s’il n’est pas connaisseur, n’est ni flatteur, ni blasé et se laisse aller à ses impressions tout naïvement. C’est celui que j’aime et celui qui me fait faire des progrès. C’est aussi celui que l’admirable Nourrit aimait et devant lequel il était heureux de chanter gratis le jour de la fête du roi. Public ignorant, mais intelligent, mais sympathique, en un mot, le peuple !… »
    Ne dirait-on pas une lettre de Consuelo elle-même ?