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et la Catalina, et que par la faute des pluies torrentielles les provisions n’arrivèrent pas quotidiennement et régulièrement de Palma, alors Mme Sand et ses enfant eurent à sérieusement défendre leurs dîners, d’autant plus que l’achat des provisions était devenu en général fort difficile.

Tant que le cuisinier du consul français s’approvisionna pour eux à Palma, tout allait bien, mais lorsque le mauvais temps coupa toute communication entre Valdemosa et Palma, les choses allèrent fort mal. Il n’y avait de bon, en fait de produits indigènes, que les fruits et le vin. En fait de viandes et de volailles on ne pouvait se procurer, et cela encore avec force difficultés, que du porc, que l’estomac de Chopin ne supportait point, ou bien de vieilles poules. Le poisson était mauvais, le beurre introuvable. Le pain arrivait de Palma tout trempé d’eau. Mais la raison principale de toutes les difficultés consistait dans l’ignorance et la superstition des insulaires. Lorsqu’on sut que nos voyageurs n’allaient pas à la messe, ils eurent le sort des hérétiques : personne ne voulut avoir affaire à eux, ou si même quelqu’un consentait à leur vendre quelque chose, il se croyait en droit d’exiger des prix triples et quadruples ; à la moindre observation il remettait sa marchandise au panier et s’éloignait avec dignité. Pour comble d’ennui les cuisinières indigènes étaient horriblement malpropres et assaisonnaient chaque plat d’une telle quantité de poivre, de tomates, d’ail, de tant de choses aigres, piquantes ou pimentées, que même les bons estomacs s’accommodaient mal de ce régime, et le pauvre Chopin, malade, ne pouvait rien manger de toute cette cuisine. Il fallait se mettre soi-même à la besogne et parfois se contenter de repas tout ascétiques.

C’eût été une contrariété fort mince, si nous eussions tous été bien portants. Je suis fort sobre et même stoïque par nature à l’endroit du repas. Le splendide appétit de mes enfants faisait flèche de tout bois et régal de tout citron vert. Mon fils, que j’avais emmené frêle et malade, reprenait à la vie comme par miracle et guérissait une affection rhumatismale des plus graves, en courant dès le matin, comme un lièvre échappé, dans les grandes plantes de la montagne, mouillé