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pâle, calme, ne trahissant ses souffrances par aucun geste, toujours parfaitement maîtresse d’elle-même. Alice vient de traverser quelque horrible combat intérieur, elle doit avoir pris quelque résolution suprême, mais personne n’en saura jamais rien.

Il est difficile de lire cette page sans émotion ; on y sent une souffrance vécue, une vraie douleur, il n’y a pas un mot qui ne soit sorti tout saignant du cœur de l’auteur. Nous ne savons ni comment, ni quand, ni pourquoi George Sand a dû traverser une heure aussi terrible, mais qu’elle l’ait traversée, cela n’est point douteux. Cette page est palpitante de vie et de passion.

Le dénouement ne tarde pas. Alice, brisée par cet excès de souffrance, tombe malade. Cette fois encore, elle est tellement maîtresse d’elle-même, que la catastrophe et sa maladie sont ignorées de Jacques Laurent ; il ne les devine même pas. Sur tout ce drame plane un mystère profond. Deux jeunes existences, deux grandes amours sont à jamais brisées ; deux cœurs humains s’adorant à la folie, vivant sous le même toit, ne trahiront leur secret par nul regard, par nulle parole, et aucun d’eux ne saura jamais rien de l’autre.

Si le roman finissait là, il serait excellent. Mais George Sand trouva nécessaire, on ne sait pas trop pourquoi, d’atténuer ce douloureux dénouement. D’abord, elle tenta de faire croire au lecteur, par quelques lignes hâtives ajoutées à la fin du roman, qu’Isidora, guérie de son impuissance morale, se met à aimer Jacques Laurent d’un vrai amour et que lui aussi retrouve sa tendresse d’autrefois.

Mais il restait encore une note triste dans ce dénouement : Alice. Et l’auteur, qui avait commencé par la faire dépérir de chagrin, ce qui était assez conforme à la vérité, passa définitivement l’éponge sur toute cette conclusion en écrivant une troisième partie qui gâte l’impression si vive des deux premières parties.

Jacques, auprès d’Isidora, ne peut oublier Alice. Isidora l’apprend et se sacrifie : elle rend Jacques à Alice. Dix ans plus tard, aux dernières pages du roman, devenue vieille, elle renonce à toute satisfaction personnelle, et trouve sa joie dans