George Sand, sa vie et ses œuvres/2/11

Plon et Nourrit (2p. 249-324).


CHAPITRE XI
(1835-1836)

Michel de Bourges. — Lettres de femme et Journal du docteur Piffoël. — Le Poème de Myrza et le Dieu Inconnu. — Le procès en séparation et les autres procès avec M. Dudevant.


À la fin du mois de mai 1833, Liszt et la comtesse d’Agoult partirent pour la Suisse, Michel retourna à Bourges, et George Sand resta à Paris pour finir à la date obligée son roman : Simon, promis à Buloz. Il commençait à faire chaud, et le séjour dans la mansarde du cinquième étage devenait insupportable. De ses fenêtres, qui donnaient dans la cour intérieure, George Sand vit qu’au rez-de-chaussée de sa maison, alors à moitié démolie pour cause de grandes réparations, il y avait au niveau même du jardin un logement vide. Les portes, il est vrai, y étaient enlevées, tous les coins encombrés de pierres et de décombres, mais l’air était frais dans les grandes chambres, tout était tranquille, et le petit jardin, fermé pour tout le monde, lui offrait un abri où elle pouvait se retirer sans avoir à craindre d’être dérangée. Enchantée d’avoir trouvé au centre même du bruyant Paris la solitude, la liberté dans le calme et, le comble de ses rêves, « une maison déserte », elle s’empara sans hésiter du logement et y installa son cabinet de travail en transformant un établi de menuisier en table à écrire. Seuls, le portier qui lui avait cédé la clef du jardin, et la femme de chambre qui lui apportait les repas et les lettres, savaient où elle passait ses journées et lui en gardaient le secret. Les araignées, les souris et les merles, les chardons et les orties envahissaient son refuge ; mais c’était cet abandon même qui charmait le poète. Souvent aussi elle descendait le soir au jardin pour s’y promener en liberté par les petits sentiers couverts d’herbe, ou s’adonner à la rêverie, assise sur les marches brisées du perron. C’est ce jardin qu’elle a fait décrire plus tard, dans Isidora, par le héros de son œuvre, Jean Laurent. À la fin du mois de juin, elle fit un court séjour à Nohant. Convaincue une fois de plus que la vie sous le même toit que Dudevant était pour elle chose impossible, elle alla au commencement de juillet à Bourges où l’attirait le désir de se rapprocher de Michel et où elle s’installa encore dans une maison déserte, qu’une de ses amies avait mise à sa disposition. Voici les dates que nous trouvons sur la feuille volante déjà citée plus haut :

« Revenue ici (à Nohant) le 21 ou 22 juin. Michel ici le 24. Je le conduis à Bourges. Je pars au commencement de juillet ; je vais à Bourges par Châteauroux. Lamennais[1]. À Paris fin de juillet. À Nohant le 6 août, Michel vient le 8, je le conduis à Châteauroux. Je reviens à Nohant jusqu’au 1er  septembre. Tout septembre, à Paris. Revenue ici le 30… »

C’est dans la petite maison déserte, à Bourges, dans une solitude complète, — les repas lui étaient apportés du dehors, — qu’elle passait le temps à étudier la phrénologie d’après Lavater, Gall et Spurzheim. C’est là qu’elle écrivit la septième Lettre d’un voyageur « sur Lavater et une maison déserte », dédiée à Liszt, lettre à laquelle celui-ci répondit par ses trois premières Lettres d’un Bachelier ès musique[2]. La correspondance entre George Sand et ses nouveaux amis en Suisse était en général déjà assez active à cette époque. Notons cependant un fait passablement curieux. Bien que les lettres à la comtesse d’Agoult et à Franz Liszt respirent la même cordialité sincère et simple, et qu’elles soient également pleines d’épanchements de cœur et d’explications, on sent parfois dans celles que George Sand écrivait à Mme d’Agoult l’intention de faire de la « littérature », une animation un peu artificielle, une certaine coquetterie d’esprit, quelque chose qui tient du style des amoureux, non pas précisément un désir conscient de charmer sa correspondante, mais bien celui de lui prouver son attachement et son admiration. Les lettres à Liszt, pleines de verve et d’abandon, sont écrites sur un ton de bonne camaraderie, et en même temps elles touchent constamment aux différents intérêts sérieux de l’art et aux grandes œuvres du jour. Sans le savoir elle-même, George Sand y parle involontairement le langage de son correspondant, jugeant comme lui les choses et les hommes, sentant comme lui, partageant ses idées et ses tendances, surtout dans les questions qui traitent de l’art. Il est à regretter que nous ne sachions rien sur les conversations qu’ils eurent au printemps, outre les quelques lignes que leur consacre Liszt dans sa première Lettre d’un Bachelier ès musique, où il dit qu’il aime à revenir par la pensée au temps où lui et son ami le Voyageur, assis auprès du feu et enveloppés par la fumée de leurs cigares, causaient sur les grands problèmes sociaux, qu’on lui « défend de traiter dans les colonnes de la Gazette musicale ». Mais d’après la Correspondance de George Sand et les lettres inédites de Liszt on voit qu’ils se sont compris dès les premiers temps comme « âmes de même calibre », résonnant à l’unisson. Liszt a dû insensiblement inspirer à George Sand ce qui lui manquait à cette époque, — la conviction de la sainteté de la vocation artistique, de la nécessité de traiter l’art sérieusement et de tout cœur comme une chose divine, du grand rôle de l’art et des artistes dans le présent et l’avenir de l’humanité. Les conversations et les idées de Liszt se reflètent d’une part dans le passage de la Lettre à Everard où George Sand défend l’art et les artistes contre les exigences barbarement utilitaires du démagogue, et d’autre part dans la septième des Lettres d’un voyageur (à Liszt) et dans la onzième à Meyerbeer, qui sont l’une et l’autre l’écho des idées de Liszt ; enfin, on en retrouve la trace dans une série de romans ultérieurs où apparaissent des artistes, ce sont : La dernière Aldini, Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, Carl, Lucrezia Floriani, le Château des Désertes, le Château de Pictordu, etc., etc. Au lieu de continuer à proclamer le droit des artistes à une plus grande liberté que les simples mortels, on voit surgir dans ces romans la notion de la source divine de tout talent, l’obligation pour tout artiste d’être un homme supérieur aussi dans la vie privée, celle du devoir de se rendre utile aux hommes et du rôle sacerdotal des artistes dans l’état de l’avenir : Génie oblige. C’étaient les idées et les convictions de Liszt. On est donc très désagréablement surpris, en lisant l’Histoire de ma Vie, de voir que George Sand, sous l’influence de sa rupture avec Mme d’Agoult, n’ait pas trouvé impossible de passer sous silence ce côté de ses relations avec le grand compositeur qui joua un rôle important dans le développement de ses idées sur l’art, et de voir qu’elle a même tâché d’attribuer tout ce rôle à d’autres célébrités qui l’entouraient durant la période de ses recherches de la vérité. Mais le critique impartial qui compare les œuvres et les lettres de Liszt à celles de George Sand ne laisse pas de remarquer l’action évidente que ces deux grandes natures d’artistes ont exercée l’une sur l’autre. Selon le biographe de Liszt, Mlle Lina Ramann, ce serait George Sand qui, au début de leur amitié, aurait eu une influence fatale et pernicieuse sur le jeune musicien en développant en lui un romantisme excessif et en nourrissant en son âme, au détriment des qualités morales, les éléments de la passion déjà suffisamment puissants en lui à l’âge qu’il avait alors. Mais n’oublions pas, encore une fois, que l’on ne doit pas ajouter foi à tout ce que l’abbé Liszt a raconté dans sa vieillesse, lorsqu’il devait nécessairement blâmer la conduite de ses jeunes années. En outre, l’action littéraire de George Sand sur Liszt écrivain nous offre bien plus d’intérêt et d’importance que l’influence générale de l’esprit romantique sur les sentiments et les idées de la jeunesse d’alors, partagés par l’auteur des Rapsodies et des Années de pèlerinage.

Quoi qu’il en soit, en 1835 George Sand, Liszt, et Mme d’Agoult s’écrivaient constamment et souhaitaient de se revoir. Toutefois, malgré tout son désir de profiter des invitations réitérées de Liszt et d’aller en Suisse, Aurore Dudevant ne s’y rendit pas cette année-là, et ses amis l’y attendirent un bonne dizaine de mois. Voici quelques lettres inédites de Liszt, de la première moitié de 1836, qui nous prouvent combien l’amitié de l’illustre musicien pour son ami le Voyageur était grande et sincère :

« Cher George,

« Je ne sais ni où ni comment ce peu de lignes vous trouveront ; peu importe, pourvu qu’elles vous rappellent quelques minutes un ami, un frère, dont l’affection et le dévouement vous sont acquis pour toujours. Les trois ou quatre lettres que vous avez écrites à M[arie] et qu’elle m’a communiquées (contre son habitude), m’ont fait un véritable plaisir. La promesse que vous lui réitérez de venir nous voir ce printemps m’est aussi bien douce. Toutefois, j’hésite encore un tout petit peu à croire à la réalité de votre apparition fantastique à Genève. Avouez que c’est un scepticisme raisonnable et quasi légitime ; mais Dieu veuille que vous le confondiez à tout jamais, et cela au plus tôt. Ces jours derniers, votre nom a circulé dans tout Genève. Il paraît que votre sot-système[3] est en correspondance avec Mme Clermont-Tonnerre, et qu’il l’a prévenue de votre prochaine arrivée. Sur cela, grande rumeur et alerte dans le pays, comme bien vous pensez. Malheureusement, c’est comme la pièce du sieur Shakespeare : Much to do about nothing[4], et comme je ne suis pas sûr que (vous) sachiez l’anglais, voici la traduction française en regard : « beaucoup de bruit pour rien ».

Si vous venez, vous me trouverez prodigieusement hébété ! Depuis six mois je ne fais qu’écrire, écrivasser et écrivailler des notes de toutes les couleurs et de toutes les façons. Je suis convaincu qu’en les supputant, on en trouverait quelques milliards. Aussi, je le répète, suis-je devenu scandaleusement bête, et, comme dit le proverbe, stupide comme un musicien. Peut-être serais-je plus à votre fantaisie ainsi, car je me rappelle que vous aviez une profonde aversion pour mes connaissances philosophiques et ontologiques, et c’était fort judicieux de votre part. « Ô vous, non pas Lelia, mais », etc., etc.

À l’occasion de votre ci-devant ami Sainte-Beuve, que dites-vous de l’épisode de 8 000 vers de poème humanitaire ? Quant à moi, j’avoue que je ne me rangerai pas très volontiers au nombre des thuriféraires de cette nouvelle incarnation de Dieu, un peu mystérieusement caché cette fois-ci. Tout en admirant certains détails, certaines journées de certaines époques et surtout quelques vers épars qui sont vraiment sublimes, il m’est impossible d’accepter comme une grande œuvre l’ensemble de Jocelyn. Néanmoins je n’ose pas me prononcer davantage avec vous, car je crains terriblement que vous ne trouviez tout cela, depuis la première syllabe jusqu’à la dernière, magnifique et inouï.

En attendant que nous puissions en causer plus au long, laissez-moi vous dire grossièrement que j’aimerais mieux avoir fait trente pages de Lelia que tout cet épisode où la médiocrité de la pensée et du sentiment paraît si souvent à travers les nébuleux nuages d’un sentimentalisme convenu.

Vraiment, Sainte-Beuve a fait un tour de force en assimilant Jocelyn à Robinson Crusoé, et cela sans que Lamartine puisse s’en apercevoir le moins du monde. C’est un trait de jésuite dont il faut le complimenter.

On m’a dit, ces jours derniers, que Didier (de Genève) devait aller passer quelque temps auprès de vous ; dites-moi ce qui en est de cette nouvelle histoire à laquelle je n’ajouterai de foi que ce que vous voudrez. Il y a longtemps que vous n’avez rien donné à la Revue ; votre procès vous a sans doute pris beaucoup de temps. J’espère qu’enfin vous êtes complètement libérée del marito, personnage de comédie par excellence et qui ne devrait jamais avoir d’autre réalité. Ce qu’il y a de ravissant dans cette affaire, c’est la confidence des articles de journaux annonçant votre retour aux devoirs conjugaux (Vide la Chronique de Paris, entre autres) et la diplomatie consommée de Votre Seigneurie. Je suis excessivement curieux (et cela une des premières fois de ma vie) de vous entendre raconter les commencements, le milieu et la fin de cette affaire qui, je n’en doute pas, a dû tourner entièrement à votre avantage.

Si vous étiez homme à me dire à l’avance le jour de votre arrivée (la possibilité hypothétique de la chose une fois admise), j’irais vous attendre à la diligence avec une chaise à porteurs, comme c’est l’usage ici, et une musique ambulante, afin de vous reconduire triomphalement à la rue Tabazan ! la rue du (sic !) Rousseau, à la maison du Rousseau où nous demeurons.

Comme Puzzi s’est permis de me dire que c’était surtout un obstacle matériel fort commun en ce temps-ci, qui vous retenait là-bas, je vous renouvelle en mon nom l’offre que vous a faite l’autre jour M[arie]. Au besoin je ferai sortir un petit capital de mon petit doigt, pour vous… »

(La fin de cette lettre — bien sûr une feuille de deux pages — manque).

Au printemps de 1836, George Sand passa un mois à Paris[5], et Liszt que ses affaires personnelles rappelaient aussi en France, s’empressa d’aller la rejoindre ; mais il ne l’y trouva plus, comme on le voit par la lettre suivante :

« Cher George,

« Je suis venu jusqu’à Paris pour vous relancer ; jugez de mon désappointement en apprenant votre fuite. Ne pouvons-nous donc plus nous revoir ? Dans cinq semaines je quitterai Genève, pour aller à Naples. M[arie] aurait bien désiré vous faire l’hospitalité pendant une dizaine de jours au moins, avant de nous séparer pour si longtemps. Mais, comme je vous l’ai dit, je ne vous presserai plus d’accepter. Vous savez combien nous vous aimons et quel bonheur votre venue serait pour nous…[6] Enfin, espérons encore.

« Vous ne m’écrivez plus. Je ne sais nullement ce que vous devenez. Parlez-moi à cœur ouvert et longuement la prochaine fois que vous me donnerez de vos nouvelles. Il y a entre nous comme une solution de continuité qui m’afflige parfois. Ai-je tort ? Adieu. Je suis horriblement pressé par une multitude d’affaires qu’il me faut terminer avant vendredi (jour fixé pour mon départ).

« Adieu encore ; tout à vous fraternellement.

« F. Liszt. »

Paris, mardi matin.

Au verso : Madame George Sand.

La Châtre.

C’est bien à ces deux lettres que George Sand répond par ses lettres du 5 et du 25 mai — insérées dans sa Correspondance et adressées à Liszt lui-même et à la comtesse d’Agoult, qui avait décacheté la première lettre de George Sand en l’absence de Franz. Nous y trouvons des allusions et des réponses à toutes les questions de Liszt, car George Sand y parle de son procès, de Janin, de Sainte-Beuve, de Lamartine, de Jocelyn, etc., etc., tout en exprimant ses regrets d’avoir manqué « : Franz » lors de son séjour à Paris. Elle y dit aussi, comme nous l’avons vu plus haut, qu’elle ne pourrait venir à Genève que pour les vacances d’automne. Liszt lui écrivit alors ceci :

« Cher George,

« Par la même raison que nous avons attendu onze mois, nous vous attendrons encore un mois de plus. Dieu veuille que vous ne nous ajourniez pas de nouveau à l’an 40, car nous serions de force à accepter. Vous voyez que nous sommes des amis bien incommodes et bien tracassiers, mais c’est ainsi qu’il le faut. Je suis sûr que Marie vous a écrit un tas de belles choses, après quoi ma vile prose semblera plus vile encore que d’habitude. Aussi vais-je m’arrêter tout court et m’en tirer par des points Lamartinico-Jocelyniens

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Tout à vous, de cœur.

« Fr. L. »

Enfin, au mois de juillet, Liszt lui écrit encore :

« Cher George,

« J’aurais voulu ajouter deux mots à la lettre de Marie (qui doit déjà vous être parvenue), mais le temps pressait tellement qu’il ne m’a guère été possible de monter à sa petite maisonnette de Monnetier pour lui dire adieu[7].

« Enfin, mon ami, il vous est venu une bonne et sainte pensée ! Nous vous reverrons, et cela tout à notre aise ; nous vous aurons matin et soir, jour et nuit ! Gare à vous, bon et cher George, nous vous laisserons à peine le temps de dormir, moins encore celui de respirer. Oh ! vous ne pouvez pas vous figurer quelle fête nous nous faisons de passer une quinzaine avec vous, illustrissima ! D’ici à deux jours votre procès sera terminé. Nul doute que vous n’obteniez toute satisfaction, car vous avez cent et cent fois raison, ce qui n’est pas de trop pour vous. Dieu merci, votre vie va être plus franche et meilleure ; certes, vous méritez bien au delà, mais il vous suffit, n’est-ce pas, que ceux qui vous aiment le sentent.

« Je vous écris d’une méchante auberge, en attendant la diligence (car depuis six semaines je suis toujours par voies et par chemins). Si je savais au juste quelle route vous prendriez, je viendrais à votre rencontre. En attendant je vais toujours faire de nouveau emballer mon beau piano pour Genève, et de plus, il faudrait que Puzzi se charge de remettre, à neuf mes deux pipes. Si vous en apportez une troisième, ce sera tant mieux.

« Nous recauserons tout au long de mille choses : peut-être vous conviendrai-je davantage à cette heure, car je me suis horriblement bêtifié, en faisant des notes, des notes et toujours des notes !

« Au reste, vous trouverez ici un ou deux individus extrêmement remarquables et qui se réjouissent beaucoup de vous voir. Si vous avez envie de voir plus de monde, ce sera facile. En toutes choses, vous n’avez qu’à me dire : « Je veux ceci ou cela », et il sera fait selon votre désir.

« Au revoir donc, cher George. Venez au plus tôt et quittez-nous au plus tard possible.

« Tout à vous pour la vie,
« F. L. »


Au verso : Madame George Sand,

Poste restante.
Indre. La Châtre.

Sur le timbre : Dijon, 23 juillet 1836.

Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles George Sand se fit attendre à Genève et ne s’y rendit qu’en septembre 1863. Toutes se réduisent à deux principales : d’abord il était devenu urgent de commencer son procès en séparation, puis ses relations avec Michel de Bourges ne la portaient nullement à quitter la France.

On a tant de fois répété dans la presse que les relations entre Michel et Aurore Dudevant, d’amicales qu’elles avaient été, étaient devenues plus intimes, que nous ne croyons pas commettre d’indiscrétion en en parlant. D’ailleurs, une partie des lettres de George Sand à Michel a été publiée en 1890-1891 dans la Revue illustrée sous le titre de : Lettres de femme. L’anonyme qui les a insérées dans la Revue illustrée dit les avoir trouvées en Bretagne, datées de 1832, écrites à Marcel par une mystérieuse inconnue. Ces lettres attirèrent aussitôt l’attention de la presse française. Les uns les prirent pour un habile pastiche venant d’un auteur anonyme imitant le style et la manière des épîtres romantiques de 1830 ; d’autres crurent y voir des lettres authentiques et essayèrent de remplacer les dates, les noms et les initiales que donnait la Revue illustrée par des noms et des dates plus vraisemblables. Malheureusement la publication des Lettres de femme cessa tout à coup, et la fin de la correspondance n’a pas paru. De plus, même ce qui en fut publié, n’est pas complet. Ayant eu l’occasion de prendre connaissance de la correspondance entière et de copier les lettres qui manquent dans la Revue illustrée, nous sommes à même d’affirmer que ce sont là indubitablement les lettres de George Sand à Michel de Bourges. Elles se rapportent toutes au printemps et à l’été de 1837, c’est-à-dire à l’époque où, après deux ans d’intimité, l’amour de Michel avait déjà eu le temps de se refroidir. Ils se voyaient alors rarement. George Sand, qui avait passé la fin de l’hiver et le printemps à Nohant, se sentait presque abandonnée par Michel, qui était resté à Bourges. Profondément malheureuse, elle lui écrivait ces lettres désespérées, pleines de soupçons jaloux, de la nostalgie de l’amour expirant, toutes pénétrées du désir exalté d’éclaircir la vérité, de savoir ce qu’il en était. Ces lettres, écrites dans une langue admirable de force, de poésie, de douleur, doivent être sans contredit rangées parmi les plus belles pages sorties de la plume de George Sand. Elles contiennent, en outre, un si grand nombre de détails autobiographiques qu’elles sont en même temps de très importants documents pour l’histoire de notre écrivain, et l’on ne peut que regretter que les plus intéressantes, ou plutôt les plus curieuses d’entre elles, n’aient pas été livrées à la publicité. Nous n’analyserons ici ni celles qui ont paru dans la Revue illustrée, où chacun peut les lire, ni celles qui sont restées inédites, et le demeureront sans doute toujours. Nous nous bornerons à donner les preuves de l’authenticité de cette correspondance, et, pour faciliter au lecteur la comparaison de ces lettres avec la Correspondance de George Sand et l’Histoire de ma Vie, nous corrigerons les noms fantaisistes et les dates.

Sans parler du style ni de la manière générale de ces lettres qui en dévoilent l’auteur mieux que toute signature ou des noms propres vrais — ex ungue leonem, — on y trouve encore une foule de faits, petits et grands, de phrases, de détails, prouvant à l’évidence qu’elles sortent de cette même plume qui a écrit les Nouvelles Vénitiennes, les Lettres à Marcie, l’Histoire de ma Vie, et la Correspondance.

Voici d’abord quelques passages tirés des différentes lettres et qui témoignent, sans avoir besoin d’aucun commentaire, qu’ils n’ont pu être écrits que par Aurore Dudevant et adressés à personne autre qu’à Michel de Bourges : « … Mon père est mort à trente ans renversé par son cheval… »

« … Depuis ma grand’mère, personne n’avait su changer en pleurs le fiel de mes entrailles !… »

« … J’espère que dans ta république, mon cher vieux, tu supprimeras les éditeurs !… »

« … Ma tête est brisée par le travail d’une nuit aride, le cigare et le café ont pu seuls soutenir ma pauvre verve à deux cents francs la feuille. J’ai deux heures à dormir ; il faut que je fasse tantôt six lieues à cheval, pour renouer une affaire avec des bûcherons, dans des chemins perdus où j’ai failli rester avec mon cheval en revenant. Les rudes travaux de la vie vieillissent et amassent des rides au front. La nuit prochaine, il me faudra encore travailler quatorze heures comme celle-ci, la nuit suivante idem, pendant six nuits de suite, ma parole y est engagée. En mourrai-je ? Déjà je succombe et je ne fais que commencer. Ma paupière appesantie peut à peine supporter l’éclat du soleil levant. J’ai froid à l’heure où tout s’embrase ; j’ai faim et je ne puis manger, car l’appétit est le résultat de la santé, et la faim celui de l’épuisement ; ma vie est surchargée ; j’aime l’indolence et je n’ai pas une heure dont je puisse disposer à mon gré. Je hais mon métier, et lui seul me tire des embarras de la vie[8]… »

« Le 9 mai. — J’ai fait toutes mes corvées, mais je suis malade ce soir. Serai-je guérie demain ? Il le faut ; car il faut reprendre le boulet. Quel ennui ! Écrire depuis neuf heures du soir, jusqu’à sept heures du matin, et n’avoir pas une demi-heure pour l’écrire à mon aise, l’âme et le corps joyeux ! mais qu’importe le corps ? l’âme est contente… Moi je suis heureuse. Quel bien puis-je rêver sur la terre hors de toi ? Je suis tellement livrée à cette pensée, que je n’en saurais avoir d’autre. Je m’éveille, et avant d’avoir les yeux ouverts, j’étends le bras sur ma table pour voir s’il m’est arrivé une lettre de toi. Souvent je suis si accablée du travail de la veille que je n’ai pas encore la force de la lire. Je la serre dans mes mains, j’y colle mes lèvres, et fourrant tête, lettre et mains dans mon oreiller, je me rendors pour quelques instants avec mon trésor, calme, heureuse… »

« … Dès le premier jour, nous nous sommes appartenus par la pensée. Je t’ai ouvert mon âme. Je t’ai raconté ma vie comme si tu avais le droit de la savoir, comme si tu avais le pouvoir de la changer. Et tu l’as changée, en effet. D’où t’est venue cette puissance ? Nul autre homme n’avait exercé sur moi une influence morale ; mon esprit toujours libre et sauvage n’avait accepté aucune direction. J’étais restée moi, doutant de tout, n’admettant que ce qui ne venait de moi-même, haïssant toutes les erreurs. J’étais vierge par l’intelligence ; j’attendais qu’un homme de bien parût et m’enseignât. Tu es venu, et tu m’as enseignée, et cependant tu n’es pas l’homme de bien que j’avais rêvé. — Il me semble même parfois que tu es l’esprit du mal, tant je te vois un fond de cruauté froide et d’insigne tyrannie envers moi ; mais puisque tel que tu es, tu m’as persuadé ce que tu as voulu, puisque tu as entamé le rocher, puisque tu m’as attachée à tes convictions et liée à tes actes par une chaîne invincible, il faut que tu sois mon lot et mon bien depuis l’éternité et pour l’éternité. »

« … Mon plus doux rêve, lorsque je m’abandonne à l’espérance trompeuse de vivre près de toi, consiste à imaginer les soins que je rendrais à ta vieillesse débile… Voilà ce que je caresse comme dédommagement d’une carrière de fatigue sans utilité, de soucis sans enthousiasme, que j’ai subie longtemps, que je subirai longtemps encore, et peut-être toujours. Que Dieu m’exauce ! : Qu’il entende le vœu d’un cœur détaché des faux biens et des chimériques grandeurs ! Qu’il arrache de mon front flétri cette couronne de fleurs et d’épines que la vaine approbation et la haine insensée y ont mise malgré moi. Qu’il en ceigne la tête blonde de quelque jeune Tébaldéo ou le crâne ambitieux de quelque frère de Corinne. Je n’ai point cherché cette couronne et ses parfums m’ont semblé moins doux que ceux de la moindre fleurette ignorée au fond des vallées. Je ne suis pas orgueilleuse non plus du sang que ses épines m’ont fait répandre et dont sa blancheur a été souillée. Les stigmates du triomphe m’ont appris qu’il y avait des envieux et que l’on pouvait être persécuté par ceux à qui on n’avait jamais souhaité de mal… Ce que j’ai toujours demandé au ciel avec instance, ce que j’ai toujours cherché sur la terre, ce que je reprocherai éternellement à mon destin de ne m’avoir pas donné, c’est un cœur semblable au mien, c’est une âme identique à la mienne, où je puisse verser toutes mes affections, concentrer tous mes désirs, résumer toutes mes joies. Qu’on me donne cet être et que ce soit toi ; qu’on fasse que l’éclat passager que nous avons jeté autour de nous n’ait jamais existé… »

« … Toujours, hommes de gloire, vous aimerez l’action ; toujours, hommes de rêverie, nous aimerons le silence !… »

Cette page pourrait être ajoutée à la sixième Lettre d’un Voyageur, et pas un mot, pas une nuance de pensée n’en altérerait l’impression d’ensemble.

Voici encore quelques fragments de phrases : « … Quand je t’attendais à Genève, à Lyon, à Nevers, à Orléans !… » Par la lettre à Girerd du 15 août 1836, nous savons qu’au cours du voyage que George Sand fit à Genève, en l’automne de cette année, elle devait passer par Nevers, et par ses carnets de voyages et les lettres écrites en route à sa mère, à Liszt, à Mme d’Agoult et à d’autres personnes, nous voyons qu’elle traversa réellement ces quatre villes, en allant et en revenant.

Racontant son séjour en Suisse, l’amour mutuel et heureux de ses deux compagnons de voyage, sa solitude, ses souffrances, l’ennui qu’elle en ressentait, l’amie de Marcel dit : « Les autres croient que je suis Lélia », c’est-à-dire que Liszt et Mme d’Agoult, dans leur voyage à trois, à travers la Suisse, la voyant se livrer pendant des mois entiers à une vie ascétique et exclusivement intellectuelle, la croyaient libre de toute passion et par conséquent bien loin d’en être tourmentée.

Il ne faut pas même souligner la coïncidence de certains faits et dates. Ainsi par exemple il n’y a qu’à comparer : 1° la date de l’arrivée des mystérieux F. L. et Mme d’ A. chez la mystérieuse correspondante de Marcel avec les dates de l’arrivée en 1837, à Nohant, de Mme d’Agoult et de Franz Liszt ; 2° le fait qu’au printemps de 1837 Maurice et Solange Dudevant avaient la variole et que dans les Lettres de femme, nous voyons la fille de la bien-aimée de Marcel malade aussi au même moment ; 3° l’étrange et absolue identité de l’épisode raconté dans la lettre du 21 avril de la Correspondance, par George Sand et par Liszt dans la cinquième Lettre d’un Bachelier ès musique (à Louis de Ronchaud) avec ce que la correspondante de Marcel lui relate, presque dans les mêmes termes, dans sa lettre datée aussi d’avril, du 28. (Il s’agit d’une mauvaise farce jouée à un certain M. X, plus curieux que discret, qui voulait à toute force voir la célèbre romancière et aurait été puni de son insistance par l’audience solennelle qu’il reçut de… Sophie Cramer, la femme de chambre de George Sand, tout comme un avocat importun, M. H., avait été reçu par la femme de chambre de l’amie de Marcel, nommée « Amélie » ) ; enfin, 4° la parfaite ressemblance de ce que George Sand dit dans plusieurs de ses lettres de 1837 sur l’arrivée tardive du printemps, — qui, cette année-là, finit cependant par être à Nohant d’une beauté idéale, le jardin embaumé de roses et résonnant du chant des rossignols, — et de ce que l’amie de « Marcel » lui raconte du printemps tardif, des rossignols, des roses et des nuits étoilées. Le doute n’est plus possible, même à qui n’a pas eu l’occasion de voir les lettres originales. Il nous suffit donc de donner ce conseil aux lecteurs des Lettres de femme :


Au lieu de : Marcel, lire : Michel.
Mme  d’A. ou Anna, la Ctesse Marie d’Agoult.
L…, F…, ou Francis, Franz Liszt.
le gros L…, l’avocat Girerd
ma fille, Maurice et Solange.
Speranza, Agasta (Mme  Duteil).
D., ou Dum. M. Duteil.
P., Eug., Eugène Pelletan.
G., M. Gustave de Gévaudan
Amélie, Sophie Cramer.
l’avocat H, M. Hennequin.
H., Hippolyte Châtiron.
R., Rollinat.
Mme  F. Mme  Fleury ou Mme  Félix Tourangin.
Mme  Michel, La femme de Michel.
Vendôme. La Châtre.
Bonnières, Châteauroux.
Blois. Bourges.
Le sujet à longue barbe, etc, Félicien Mallefille

Enfin, au lieu de : 1832, lire partout : 1837.

Maintenant que le lecteur possède la clef qui explique ces documents importants pour la biographie de George Sand, nous dirons que cette correspondance prouve que Aurore Dudevant avait trouvé, peut-être pour la première fois de sa vie, en Michel une nature qui lui était égale pour la force de volonté et de caractère, quoique bien inférieure à la sienne comme individualité. Nous observons donc dans la situation de George Sand relativement à Michel une chose tout opposée à ce qu’elle avait rencontré dans ses autres liaisons. Avant 1835 et plus tard, Georges Sand s’était trouvée en face d’hommes faibles, presque toujours plus jeunes qu’elle, et d’ailleurs sans principes bien arrêtés, sans aucune fermeté de volonté. Le rôle actif, le rôle de guide, de conquérant, en un mot le rôle viril, avait constamment appartenu à George Sand, tandis que celui de l’être faible, souffrant ou protégé, soumis et dépendant, de l’être passif en amour, en un mot le rôle féminin dans l’ordre normal des choses, appartenait aux représentants du sexe fort. Avec Michel, il n’en fut pas ainsi. C’était une vraie nature de paysan, — et il l’était de naissance, — grossier, despote, obstiné, adonné plus tard au vice très répandu parmi les vieux paysans, l’amour du gain, et, à l’époque de sa liaison avec George Sand, surtout hanté par le désir de domination. Ce despotisme, comme nous l’avons vu, se manifesta d’abord sur le terrain purement intellectuel, dans le désir de soumettre l’esprit indépendant de l’auteur de Lélia. Lorsque leurs relations furent devenues plus intimes, Michel voulut y jouer encore le rôle de souverain absolu. George Sand qui, nous l’avons dit, écrivait déjà en 1833 à Sainte-Beuve : « Si j’avais pu me soumettre à un homme, je serais sauvée, car ma liberté me ronge et me tue », s’imaginait à présent que Michel, après l’avoir sauvée de non pessimisme suprême et de son athéisme social, la sauverait d’elle-même et lui apprendrait à maîtriser son âme sans frein. En vraie femme, elle se sentait heureuse d’avoir trouvé son maître, son guide. Au début, les deux amants avaient bien cru, comme c’est toujours le cas, que leur amour serait éternel ; il semble même qu’ils pensèrent au mariage ; pour cela Michel aurait dû divorcer avec sa femme. Cependant l’avocat paraît avoir bientôt renoncé à ce projet, et il n’accompagna même pas George Sand, lorsqu’elle partit pour la Suisse où elle se rendit, son procès terminé, en août de 1836, quoiqu’elle eût bien prié Michel de faire ce voyage avec elle. Elle partit sans lui, comme on le voit par ses lettres écrites en route et de Genève. (Ces lettres, sous le titre de Lettre à Herbert, — c’est-à-dire à Charles Didier, — forment le n° 10 des Lettres d’un voyageur).

L’hiver de 1836-37 n’améliora pas l’état des choses. Au printemps de 1837, George Sand se sentait déjà très malheureuse. Michel avait tous les travers et tous les caprices d’un despote absolu ; il se montrait très jaloux, tout en voulant que ses trahisons et ses infidélités lui fussent pardonnées ; il était négligent, oublieux, froid, et fit preuve de défauts trop connus, d’inconstance et de versatilité.

Nulle part nous ne voyons mieux l’amertume qui remplissait alors l’âme de la malheureuse femme et les réflexions pessimistes et cruellement vraies auxquelles elle était alors arrivée, que dans le journal intime qu’elle avait commencé à écrire durant cet été, qui avait pour titre : Entretiens journaliers avec le très docte et très habile docteur Piffoël, professeur de Botanique et de Psychologie, et dont la toute première page porte les mots : « 1837, 33 ans ».

Déjà la Préface nous peint les idées tristement résignées du pauvre docteur :

« Oui, mon cher et gracieux docteur, faire un journal, c’est renoncer à l’avenir, c’est vivre dans le présent, c’est avouer à l’implacable qu’on n’attend plus rien de lui, qu’on s’accommode de chaque jour, qu’il n’y a plus de relation entre ce jour-là et les autres. C’est boire son océan, goutte à goutte, par crainte de le traverser à la nage, c’est compter les feuilles de l’arbre dont le tronc ne reverdira plus.

« On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes, ou qu’elles sont arrivées à l’état de pétrification qui permet de les explorer comme des montagnes d’où l’avalanche ne se détachera plus. Ce travail constate un état de solidité effrayante et que je ne souhaite à personne, sinon à ceux qui étaient en pleine éruption et qui n’auraient pu rien garder de leurs feux, s’ils ne s’étaient arrêtés tout à coup au milieu de leur vomissement. »

Le docteur a l’habitude d’écrire son journal en se levant et en se couchant, ses toutes premières impressions de la journée et ses dernières pensées de la soirée, et dès les premières pages, nous nous trouvons en plein pessimisme : « Réveil lourd… Le temps n’est ni à la gaieté, ni à la tristesse. Il est au mécontentement. Un vent inégal et fantasque secoue les arbres. Le soleil est voilé. Il fait chaud si on met la robe de chambre, il fait froid si on l’ôte. Jour terne où je ne ferai rien de bon. Cerveau fâché et fatigué sans avoir produit. Je viens d’avaler du thé pour en finir plus vite avec cette disposition apathique en la portant à son paroxysme. Je n’ai pas reçu de lettre d’Everard. Il boude ! Heureux homme qui estime quelque chose digne de sa rancune ! »

Et le soir, en se couchant, M. Piffoël écrit à la date de ce même 1er  juin : « J’ai fait à Duteil la théorie du mécontentement depuis minuit jusqu’à une heure. Je me suis mis en colère contre lui parce qu’il a voulu me soutenir qu’il était heureux presque à toutes les heures du jour. N’est-ce pas bien révoltant, en effet, de se voir traité de fou par ceux qui ne souffrent pas ? »

Le lendemain, la lettre de Michel est enfin arrivée, et son amie lui écrit :

« Aujourd’hui tout est beau, le ciel et la terre. Mes amis sont bons, mon enfant sans défauts. Le soleil n’avait pas d’ardeur féroce. Le chemin était sans cailloux. J’ai fait cinq lieues à pied. Je suis fatiguée, mais sans souffrir. Tu m’aimes, tout est parfait. Hier soir je me suis disputée avec D… une partie de la nuit, en lui soutenant que tout est mal ; si c’était à recommencer, je lui soutiendrais, cette nuit, tout le contraire ! Tu es l’étoile polaire ; quand tu disparais, j’erre dans la nuit et dans l’orage. À demain, je tombe de sommeil, mais je suis heureuse[9]. »

Mais Piffoël, tout en notant aussi qu’il a reçu une lettre d’Everard, et qu’il a « fait cinq lieues à pied », se hâte d’y ajouter cette réflexion refroidissante : « Du moment que la vie est supportable, il n’y a pas à l’examiner. On gâterait un jour de calme en y regardant de près. Ne sommes-nous jamais gouvernés que par un sentiment qui est comme l’œil à travers lequel toutes nos idées nous apparaissent et qui seul apprécie toutes choses, tandis que la raison rectifie très faiblement les erreurs de la vision ? »

On voit bien que le pauvre Piffoël ne se fait plus d’illusions même dans ses jours de répit, et n’ose pas trop se fier aux mieux qui traversent son agonie. Chaque jour il devient plus résigné. « Tu vis, écrit-il plus loin — (d’abord on lisait : « je vis », puis l’auteur avait partout remplacé le je par le tu, ainsi que dans presque tout le journal, du reste) — « tu vis, — la question n’est pas de savoir si c’est pour ton plaisir ou pour ton malheur, pour ton bien ou pour ta perte. Et qui la résoudrait ? Tu vis, tu respires, le ciel est beau… »

Et encore plus loin, tout en appelant Liszt un ingrat, car il souffre tout en étant aimé de la plus charmante femme du monde, le docteur ajoute : « Ah ! si j’étais aimé, moi !… Si tu étais aimé, Piffoël, tu serais ambitieux, et tu n’es pas ambitieux, parce que tu n’es pas aimé. »

« Tu es très sage, Piffoël, extrêmement sage, tu es très philosophe. Tu jettes un coup d’œil très lucide sur ta vie, tu pèses d’une main très ferme tous ces misérables hochets dont tu ne sais pas être avide. Je t’en fais bien mon compliment, cher Piffoël, je t’en félicite, en vérité !  ! Mélancolique animal… (des mots biffés).

Le 6 juin, Piffoël met au bas d’une magnifique page peignant le contraste entre une journée riante et splendide et la tristesse d’un cœur meurtri : « Lettre d’Everard (biffé). Il faut partir demain pour aller vers lui (biffé). Méchante destinée, où sont tes promesses ? Espoir, où sont tes mensonges. Tu n’oserais plus me tenter, tu n’oserais plus me pousser en me disant : « Va, et tu seras heureux. » Tu es muet, car tu sais que je te méprise. Où que j’aille, j’irai sans toi. J’irai seul, triste et inflexible envers moi-même, à cause de moi-même. »

Par une Lettre de femme, datée du 7 juin, nous savons que cette entrevue avec Michel, qui exigeait que son amie vînt à Bourges et ne consentait pas à venir la voir à Nohant, que cette entrevue, en effet, avait eu lieu, mais elle avait porté peu de joie dans l’âme de la pauvre Aurore, et, de retour dans ses foyers, Piffoël est plus désabusé que jamais.

« … 11 juin, au lever du jour. — Ma chambre. — Mure amiche, recevez-moi bien. Comme ce papier blanc et bleu est plein de gaîté ! que d’oiseaux dans le jardin ! quel suave chèvrefeuille dans ce verre ! Piffoël, Piffoël, quel calme effroyable dans ton âme ! Le flambeau serait-il éteint ? » — écrit-il, et il ajoute cette désolante périphrase du saint cantique : « Je te salue, Piffoël, plein de grâces, la sagesse est avec toi ; tu fus élu entre toutes les dupes, et l’ennui, le fruit de ta souffrance a mûri. Sainte fatigue, mère du repos, descends en nous, pauvres rêveurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il ! »

Ceux qui doutaient de l’authenticité des Lettres de femme et surtout de celles où la correspondante de Marcel se plaignait de l’ingratitude et de la cruauté de son ami et disait combien, pendant tout le temps que dura leur amour, il avait peu tenu compte de son abnégation à elle, mais combien, par contre, il tenait à la flatterie, à l’adulation, n’ont qu’à lire la page qui suit :

« Faut-il se dévouer en tout, à toute heure, sans réserve, gaîment, fortement, saintement ? Faut-il abjurer toute vanité, s’exposer au lazzi du public, à sa haine, à son injuste mépris, à l’abandon de la famille et des amis, à l’indigence, à la fatigue, à la persécution ? Faut-il sacrifier même l’amour de l’art et s’abstenir de vivre par la pensée ? Faut-il accepter des défauts révoltants, des vices même ; les couvrir vis-à-vis de son propre jugement ? Faut-il faire plus, faut-il les aimer et les inoculer à soi, esprit calme et désintéressé ? Faut-il veiller le soir, auprès d’un chevet tourmenté, pour satisfaire un caprice, pour épargner un instant de contrariété ? Faut-il être pour l’objet qu’on aime aussi aveugle, aussi dévoué, aussi infatigable qu’une mère tendre l’est pour son premier-né ? — Non, Piffoël, il n’est pas besoin de tout cela, et tout cela ne sert à rien sans un peu d’adulation. »

« Tu t’imagines, Piffoël, qu’on peut dire à l’objet de son amour : « Tu es un être semblable à moi. Je t’ai choisi entre tous ceux de mon espèce parce que je t’ai cru le plus grand et le meilleur. Aujourd’hui, je ne sais plus ce que tu es. Il me semble que, comme les autres hommes, tu as des taches, car souvent tu me fais souffrir, et la perfection n’est pas dans l’homme. Mais j’aime tes taches, j’aime mes souffrances, j’aime mieux tes défauts que les qualités des autres. Je t’acceptes, je t’ai et tu m’as aussi, car je n’ai rien conservé de moi-même. Et ma vie, et ma pensée, et mes croyances et mes actions, j’ai tout soumis à toi ; j’ai tout subordonné à ton plaisir ; car je t’ai choisi avec la pensée que tu devais être tout pour moi, et je me suis tellement inoculé cette pensée que je n’ai plus de pensée qui me soit propre. Tu peux m’égarer, tu peux me perdre, tu peux me conduire à la mort et à l’infamie. Le monde n’existe plus pour moi, la morale et la philosophie n’ont plus de sens, il n’y a de raison que ton instinct ; il n’y a de vérité que mon amour ; il n’y a d’avenir et de but que dans le tien. Bonheur, malheur, qu’importe ? J’accepte tous les maux, je subirais toutes les tortures, je me glorifierais de toutes les abjections, pourvu que je puisse adoucir pour toi l’amertume de la vie et déposer la mienne dans ton sein ! »

« Non, non, Piffoël, docteur en psychologie, tu n’es qu’un sot. Ce n’est pas là le langage que l’homme veut entendre. Il méprise parfaitement le dévouement, car il croit que le dévouement lui est naturellement acquis par le seul fait d’être sorti du ventre de madame sa mère. Il méprise l’ascendant qu’il exerce sur son semblable, parce qu’il s’attribue une puissance d’intelligence et de volonté qui rend impossible toute indépendance d’esprit et de conscience autour de lui. Il méprise son semblable à proportion de la bonté, du sacrifice, de l’abnégation et de la miséricorde qu’il trouve en lui. — Dominer, posséder, absorber, ne sont que les conditions auxquelles il consent à être… à être adoré comme un Dieu, c’est-à-dire trompé, bafoué, adulé… »

Et immédiatement après, George Sand parle en termes si cruellement méprisants de la manie des hommes de s’entendre flatter d’une manière aussi exagérée qu’imbécile, de leur désir constant de voir la femme prosternée et annihilée à leurs pieds, qu’il est trop aisé de deviner quel despote de la pire espèce se cachait sous les allures libérales du tribun berrichon et combien il avait fait souffrir la noble femme qui s’était dévouée à lui corps et âme. Mais il avait trop compté sur son ascendant, il avait négligé de comprendre quelle âme indomptable et fière était celle qui l’aimait. La corde était trop tendue. Elle allait rompre d’un moment à l’autre.

… « Fat impudent, tu ne veux pas qu’on te pardonne, tu veux qu’on croie ou qu’on prétende n’avoir rien à te pardonner. Tu veux qu’on baise la main qui frappe et la bouche qui ment. Cherche donc l’objet de ton amour dans la fange et empêche tout le sexe d’en sortir, tant que tu seras toi-même une idole de boue ; car si la femme s’ennoblissait et se purifiait, tu serais obligé, pour demeurer son supérieur, de t’ennoblir et de te purifier toi-même, et c’est ce que tu ne sais, ne peux, ni ne veux faire…

« Mon cher Piffoël, apprends donc la science de la vie et quand tu te mêleras de faire des romans, tâche de connaître un peu mieux le cœur humain. Ne prends jamais pour ton idéal de femme une âme forte, désintéressée, courageuse, candide. Le public te sifflera et te saluera du nom odieux de Lélia l’impuissante !

« Impuissante ! oui, mordieu, impuissante à la servilité, impuissante à l’adulation, impuissante à la bassesse, impuissante à la peur de toi. Bête stupide, qui n’aurais pas le courage de tuer sans des lois qui punissent le meurtre par le meurtre, et qui n’a de force et de vengeance que dans la calomnie et la diffamation ! Mais quand tu trouves une femelle qui sait se passer de toi, ta vaine puissance tourne à la fureur et ta fureur est punie par un sourire, par un adieu, par un éternel oubli. »

On voit bien par ces lignes que le défi est déclaré et que le temps n’est pas loin où l’auteur dira à Marcie de plutôt rester vieille fille que de river sa vie à celle d’un homme indigne de son âme et de garder la liberté de cette âme comme un bien suprême.

Il est à croire aussi que le despotique ami du docteur Piffoël fut quelque peu intimidé par la résistance qu’il trouva en lui, et fit des concessions, car peu de temps après, le pessimiste et savant docteur trace dans son journal la sentence dédaigneuse que voici : « J’ai remarqué que la plupart des hommes s’enhardit et s’aigrit lorsque dans une lutte morale avec elle, on emploie la douceur et le dévouement. Elle s’adoucit et se ravise dès qu’on emploie la violence et la dureté. Espèce méprisable ! Cette règle est quasi invariable dans l’amour… »

L’agonie ne durera plus longtemps ; l’amour est expirant, cela se voit bien.

« … Hélas ! mon Dieu ! j’ai pourtant porté des jougs de fer, et tant qu’on me les a imposés au nom de la tendresse et au moyen d’une affectueuse persuasion, j’ai plié aveuglément sous la main amie. Mais quand on s’est lassé de me persuader et qu’on a voulu me commander, quand on a réclamé ma soumission non plus au nom de l’amour et de l’amitié, mais en vertu d’un droit ou d’un pouvoir, j’ai retrouvé cette force que personne ne connaît en moi, que moi, moi qui sais seul combien j’aime, combien je regrette, combien je souffre…

« Everard, tu es un grand maître. Oh ! que je t’ai connu, sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant de fanatiques dévouements. Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il endurci ? Pourquoi de tes enfants as-tu voulu faire des esclaves ? Pourquoi le titre de maître t’a-t-il semblé plus doux que celui de père ? Et à présent te voilà seul… »

C’est fini ! « L’oiseau qui chantait sur la branche » et que « l’amant de la gloire » était parvenu à captiver par ses appels à la liberté, s’envola ; le « voyageur » qui se moquait des « hochets des hommes d’action », en a vu mieux que jamais le néant ; le cœur de femme saigne encore, mais il n’adressera plus à Michel-Marcel ses plaintes passionnées.

George Sand essaya par plusieurs de ses amis de savoir les raisons qui portaient Michel tantôt à garder le silence pendant des semaines entières, tantôt à lui écrire des lettres impossibles. Voyant enfin que son bonheur était perdu sans retour, elle se résigna à son sort, et ils se séparèrent à jamais. Cette rupture se produisit dans le courant de l’été 1837.

Nous avons ainsi anticipé sur les événements en racontant l’épilogue du roman qui, en l’été de 1835, n’était qu’à son apogée. Loin de tout et de tous, retirée dans sa maison déserte, à Bourges, George Sand étudiait la phrénologie, et en même temps, elle se pénétrait de plus en plus des idées républicaines de Michel et finit par se convaincre que le salut était dans l’avénement sans retard de la république, que tous les braves enfants de la France devraient hâter dans la mesure de leur force. Conformément à cette doctrine, il était enjoint à tout écrivain de ne pas dépeindre dans ses romans la vie réelle, ni l’amour idéal, heureux ou malheureux, mais de proclamer sur tous les tons l’idéal démocratique, de prêcher le retour de l’âge d’or, de l’égalité, de la fraternité et de la liberté, ou du moins de peindre des types approchant de cet idéal ou tâchant de le réaliser au milieu de leur existence. Rien d’étonnant donc que dans ses lettres de la fin de 1835 et du commencement de 1836, George Sand parle tout autrement des champions de la république qu’au commencement de 1835. Le 9 novembre elle écrit à Guéroult :

« … Pour toutes choses, il y a un beau moment, c’est le commencement. C’est peut-être à cause de cela que je suis si républicaine, et vous si peu peu saint-simonien. Quoi qu’il en soit, allez votre train, si vous croyez que ce soit la bonne voie. Nous voulons tous le bien et nous allons au même but par des moyens différents. Nous nous disputons toujours, parce que chacun croit avoir plus d’esprit que son voisin, et se console d’aller fort mal en voyant que les autres ne vont pas mieux ; triste consolation, en vérité, qui fait beaucoup de mal à notre époque. Toute cette guerre à coups d’épingle que se fait l’amour-propre des uns et des autres n’avance à rien ; tout au contraire. Si tout ce qui a de bonnes vues et de bons sentiments s’accueillait avec tolérance, on ferait le double d’ouvrage.

« Vous ne pouvez nier, mon cher Marius à Minturnes, que je n’aie plus de bonne foi que vous. Vous abîmez nos républicains de la tête aux pieds, et moi, je ne cesse d’aimer vos saint-simoniens et de les placer au-dessus de tout. »

« Je me défends même d’une chose, c’est d’aimer les républicains avec excès. J’aime ceux qui se trouvent être mes amis, et j’examine les autres par curiosité, ou je les accueille par savoir-vivre et politesse.

« Cela ne fait rien au principe.

« Robespierre était diablement saint-simonien. Il était pour l’exécution prompte et violente du système. Vous êtes pour la marche lente et évangélique. Eh bien, chacun devrait être républicain à la manière de Robespierre, ou saint-simonien à la manière d’Enfantin, selon son tempérament. Les uns saperaient, les autres bâtiraient. Soyez sûr que cela viendra, qu’il y aura entre vous et nous une étroite alliance, et que vous ne ferez rien sans nous.

« Vous savez comment s’est établi le christianisme, c’est-à-dire fort mal, même dans ce qu’on appelle son meilleur temps. Il était dans un si beau désaccord avec les mœurs, qu’en son nom, on commettait les crimes et on nourrissait les sentiments les plus opposés à son institution et à son esprit. Douze corps d’armée, commandés par les douze apôtres, eussent, je crois, mieux valu que Paul répétant cette lâcheté : « Rendez à César, etc. »

« Faites à votre idée, si vous croyez bien faire en louvoyant, et si votre conscience est en paix. Moquez-vous des reproches que je fais à votre tiédeur croissante, comme je me moque des railleries que vous adressez à mon récent enthousiasme. Je crois que vous vous trompez cependant, et que l’amour de l’égalité a été la seule chose qui n’ait pas varié en moi depuis que j’existe. Je n’ai jamais pu accepter de maître… »

Grâce à tout ce qui précède, il est permis de douter de la justesse de la dernière phrase ; mais la lettre entière nous montre que George Sand avait passé dans le camp des républicains militants, jusqu’à prêcher la nécessité d’employer la force pour réaliser leurs idées, jusqu’à proclamer Robespierre comme un des siens, jusqu’à dire nous, les nôtres, chez nous, en parlant de ces mêmes républicains qui, dans sa Lettre à Everard, étaient encore vous pour elle et auxquels elle avait reproché leur ambition, leur vanité, l’aveugle conviction qu’eux seuls possèdent la vérité et qu’ils ont découvert en quoi consiste le bonheur de l’humanité. Cette même prédication de doctrines républicaines fait le fond et le sujet des très curieuses lettres d’Aurore Dudevant à son fils, qui sont comme l’exposé de ses opinions à elle, et en même temps de son système pédagogique. C’est comme qui dirait la suggestion à l’enfant de son esprit de conduite futur, ou comme un petit catéchisme républicain ad usum delphini.

La même lettre à Guéroult nous prouve que George Sand professait en ce moment pour les saint-simoniens un respect et des sympathies qu’elle n’avait pas pour eux auparavant. Elle fit vers cette époque la connaissance de Vinçard aîné, leur chansonnier en titre, et gagna si bien les sympathies de la « famille saint-simonienne », que celle-ci lui envoya on 1836, par l’entremise de Julien Gallé[10], une foule de cadeaux d’étrennes qui encombrèrent tout le logement de George Sand au jour de l’an, à la grande joie de Solange et de Maurice qui, eux aussi, reçurent beaucoup de présents.

En voici la liste complète :


FOI NOUVELLE




FAMILLE DE PARIS




Étrennes à Mme George Sand en janvier 1836


1 Une boîte à robes. Alphonse.
2. Une paire de bottes. Lépagnez, Dufrémont.
3. Un pantalon, une veste. Victor Pommadère, Charron, Palinga.
4. Un chapeau. Menouillard, Hoffman, Rose de Corneille, Meunier, Léontine Poter, M. et Mme Dufrémont, Claude.
5. Un gilet. Delas.
6. Tasse et soucoupe. Bazin.
7. Manchettes. Marie Talon.
8. Manchettes et col. Pauline, Joséphine Battandier.
9. Magnolia. Égérie.
Une brochure. Égérie.
Chêne et Roses. Zénaïde.
Guirlande. Élisabeth.
Bouquet. Atelier d’Égérie.
10. Roses pompon. Jenny Baret.
11. Boucles d’oreilles. Denis.
12. Une claquette. Froliger, Mme Froliger, Mme Delacroix, Max.
13. Brodequins. Caroline.
14. Une bourse. Joséphine Chistel.
15. Un bouquet. Aglaé Ducatel.
16. Rose orientale. Barret Barthélémy.

17. Une boîte. Olympe Boissy.
18. Une pelote. Mme  et Mlle Gallois.
19. Une boîte. Flichy.
20. Un thermomètre. Frécot.
21. Cartes. Simillon, Duchesnet.
22. Un gilet. Victoire Tell, Sophie.
23. Souliers de satin. Liévens.
24. Une cravache. Rolet, Catherine Rolet.
25. Une demi-aune. Marchand.
26. Un demi-pied. Bodin.
27. Un mètre. Vinçard, à la maison paroissiale 29, rue Mondétour.
28. Plaqué. Pouget.
29. Embrasses. Henriette.
30. Dessin de lit. Mlle Jacob.
31. Bordure acajou. Bardiau.
32. Coloris. Eugénie Lemaître.
33. Un pied. Charles.
34. Une planche gravée. Adolphe.
35. Cachou. Toussaint.
36. Taffetas d’Angleterre. Adèle Fouet.
37. Une règle. Lefort.
38. Gaine. Froliger.
39. Une lithographie. Pol Justus.
40. Bordure dorée. Mora, Adolphe, Édouard, Valois, Désiré, Bazin, Élisa, Rose Mora.
41. Un dessin. Eudes, Galle.
42. Bordure palissandre. Donnadieu.
43. Une gravure. Eudes.
44. Bordure citronnier. Lenoir.
45. Une bague. Audigier.
46. Produits pharmaceutiques pour toilette. Renard.
47. Porte-mousqueton. Roussel.
48. Un médaillon. Carolus.
49. Un cadre. Griffon.
50. Un corset. Mme  Flandin.
51. Aquarelle. Georges Renhard.
52. Un pupitre. Boissy, Berger.
53. Une broche camée. Troté.
54. Une traduction. Fontana.
55 Un chant. Mlle Fanny, Vinçard, Giffard.
56 Une boîte. Ducatel, Chanchoin, Victor.
57 Une boucle. Vinçard neveu.
58 Bracelet. Virginie Daix, Charles Daix.
59 Un tablier. Mme Donnadieu.

George Sand ne pouvait pas venir alors à Paris, à cause de son procès, et en réponse à l’invitation des saint-simoniens d’assister à une de leurs réunions de gala ou même à un bal (sic !), le 11 février 1836, elle écrit de La Châtre à Guéroult, en lui exprimant tous ses regrets de ne pas pouvoir profiter de cette invitation et de ne pas voir les beaux cadeaux, mais en espérant que lorsqu’elle viendra à Paris les saint-simoniens arrangeront encore une soirée, voulant à tout prix se trouver un jour au milieu d’eux. Cela eut lieu, en effet, mais un peu plus tard. George Sand visita une réunion saint-simonienne à Ménilmontant chez le docteur Curie, et fut même accompagnée ce soir-là par Musset, comme nous l’avons déjà dit[11]. Et en réponse à l’envoi des étrennes, George Sand écrivit à la « famille saint-simonienne » la lettre bien connue, datée du 15 février 1836 et insérée dans la Correspondance (vol. I, non indiquée à la table).

C’est ainsi qu’avec l’année 1835 se termina pour George Sand la période personnelle et tout individuelle, et elle entra dans les rangs des champions conscients de la liberté et de l’égalité. Nous refusant d’accepter la prétendue division des œuvres littéraires de George Sand en trois périodes consacrées par tous les manuels de littérature, nous trouvons donc bien plus juste de ne voir dans son œuvre que deux périodes (en notant encore une fois que l’on trouve dans la seconde période les mêmes éléments, les mêmes idées et convictions que dans la première, quoique ici peut-être un peu plus irréfléchis).

Ces éléments sont pour nous : 1° la prédication de la liberté individuelle, voire de la liberté de la passion, et, en particulier, du droit de l’artiste à une liberté plus grande que celle des hommes ordinaires ; 2° la défense de la liberté de conscience en matière de religion ; 3° la prédication de la liberté sociale et de l’égalité, — de là les sympathies démocratiques de George Sand et la glorification des gens du peuple dans ses romans ; 4° l’amour de la nature et de la vie champêtre, — de là une prédilection pour la peinture de la nature et de la vie rurale. Au lieu de diviser les œuvres de George Sand en trois périodes, il serait donc plus juste, d’après les éléments que nous venons d’indiquer, de les distinguer en quatre groupes. Nous nous rangerions volontiers aussi à l’avis de l’auteur anonyme d’un article sur George Sand paru dans le n° 69 du tome III de l’Illustration (samedi, 22 juin 1844), qui voit deux périodes dans son action littéraire : une première période personnelle et inconsciente, et une seconde période sociale et consciente, les Lettres d’un voyageur faisant la liaison entre ces deux périodes.

Les années 1835 à 1837 apparaissent donc comme des années de crise dans la vie privée et littéraire de George Sand.

Remettant pour le moment l’analyse des grands romans écrits et publiés pendant ces deux années, nous nous arrêterons sur deux petites œuvres, selon nous très caractéristiques, l’une parue au printemps de 1835, l’autre en l’automne de 1836. Ces deux ouvrages sont comme des jalons qui marquent le chemin que la célèbre romancière a parcouru dans le cours de cette année. Nous parlons du Poème de Myrza et du Dieu inconnu. Le Poème de Myrza, étrange fantaisie cosmogonique, dépeint les premiers jours de la création du monde, l’apparition de l’homme et les premiers temps de l’existence de la race humaine sur la terre. L’auteur fait réciter son poème par une certaine Myrza, poétesse ayant vécu à Césarée, à l’époque de transition entre le monde païen et le monde chrétien, lorsque se développa l’éclectisme qui conciliait les croyances et les doctrines les plus opposées. Le poème se termine par un hymne exalté à l’amour que Myrza glorifie par-dessus tout ce qui est accordé aux hommes pour leur bonheur. Irrités de ses paroles, les ascètes, les faux prophètes et les Pharisiens, veulent la lapider, tandis que le peuple veut la porter en triomphe. Elle s’éloigne des uns et des autres et, montée sur son dromadaire, elle leur dit : « Laissez-moi partir, et si ces hommes vous disent quelque chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le de quelque part qu’il vienne. Pour moi, je vous ai dit ma foi, c’est l’amour. Et voyez pourtant que je suis seule, que j’arrive seule, et que, je pars seule… » Alors Myrza répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta : Comprenez-vous mes pleurs, et savez-vous où je vais ? »

— Et elle s’en alla par la route qui mène au désert de la Thébaïde… »

Ce passage rappelle involontairement à notre souvenir la retraite que George Sand avait faite, au printemps de 1835, dans sa Thébaïde du Berry après deux années d’épreuves orageuses, alors qu’elle était résolue à mener dorénavant une vie ascétique, sévère et solitaire. Faisant ses adieux au passé, et croyant en avoir fini pour toujours avec l’amour, elle s’écriait alors dans une page de sa Lettre à Everard : « Mais toi, idole de ma jeunesse, amour dont je déserte le temple à jamais, adieu ! Malgré moi mes genoux plient et ma bouche tremble en te disant ce mot sans retour. Encore un regard, encore l’offrande d’une couronne de roses nouvelles, les premières du printemps, et adieu ! C’est assez d’offrandes, c’est assez de prosternation ! Dieu insatiable, prends des lévites plus jeunes et plus heureux que moi, ne me compte plus au nombre de ceux qui viennent t’invoquer. — Mais, il m’est impossible, hélas ! en te quittant, de te maudire, ô tourments et délices ! je ne peux même pas te jeter un reproche ; je déposerai à tes pieds une urne funéraire, emblème de mon éternel veuvage. Tes jeunes lévites la jetteront par terre en dansant autour de ta statue ; ils la briseront et continueront d’aimer. Règne, amour, règne, en attendant que la vertu et la république te coupent les ailes… »

La république, à ce qu’il paraît, n’avait point coupé les ailes à l’amour, mais l’un de ses fervents avait appris à l’anachorète de Nohant à sacrifier aussi à d’autres dieux. Et le second des deux récits que nous avons nommé, le Dieu inconnu, l’une des œuvres les plus parfaites de George Sand par son style, sa concision et son fini, nous apprend qu’à l’époque de la persécution des chrétiens, et de la décadence romaine, une belle grande dame de la Rome païenne, ne trouvant plus aucune satisfaction ni dans son ancienne foi, ni dans ses plaisirs, vient un jour aux catacombes trouver Pamphile, — un saint vieillard vénéré de tous les chrétiens, — et le supplie de la sauver, de la guérir de son désespoir, de lui apprendre à croire, ne fût-ce qu’à un « Dieu inconnu ». Pamphile lui enseigne en effet à chercher sa consolation dans le contraire de ce qu’elle avait considéré jusque-là comme le bonheur : dans le renoncement aux jouissances personnelles, à l’égoïsme, à l’amour humain, mais surtout dans la charité envers le prochain, dans l’oubli de soi-même. En écoutant les discours désespérés de la belle Léa, on croit entendre Aurore Dudevant elle-même, désenchantée des hommes et de l’amour humain, cherchant avidement la lumière et la vérité, suppliant tantôt Sainte-Beuve et tantôt Michel de l’aider à trouver cette vérité, de lui donner une foi qui pût calmer son âme meurtrie, dégoûtée de toutes les joies terrestres. Le vieux Pamphile réussit à libérer l’âme de la belle Léa des chaînes de ses croyances païennes et de toute son existence passée ; il la réconcilie avec la fin irrévocable de toutes les jouissances terrestres, en lui montrant une lumière nouvelle, en lui enseignant à prier le « : Dieu inconnu ». Le farouche Everard libéra l’âme d’Aurore Dudevant des liens d’un individualisme excessif, la réconcilia avec la vie, en lui apprenant à trouver le bonheur non dans ses propres plaisirs, mais dans le service de l’humanité, dans la fusion de son individualité avec la vie, les intérêts, les joies et les malheurs de la patrie ainsi que de toute la race humaine.

Les relations amicales entre Michel de Bourges et George Sand, quoiqu’elles n’aient guère duré plus de deux ans, eurent donc une action très sérieuse et très importante sur la vie du grand poète. Cette influence ne fut pourtant pas uniquement intellectuelle, elle eut des suites sur tout l’avenir d’Aurore Dudevant, dans le sens direct et pratique du mot, car c’est Michel de Bourges qui fut son avocat lors de son procès en séparation contre son mari.


Revenons maintenant à l’historique des relations entre les époux Dudevant, dont nous avons fait le récit jusqu’à la fin de 1830, c’est-à-dire jusqu’au départ d’Aurore pour Paris.

Pendant les trois premières années après leur séparation volontaire, tout alla bien d’abord, et les deux époux, de part et d’autre, contents de leur indépendance, continuèrent à se traiter à l’amiable, en camarades bien calmes. Dudevant avait gardé pour lui les choses auxquelles, selon une lettre inédite d’Aurore[12], il tenait le plus : son domaine et ses revenus à elle, en n’envoyant à sa femme qu’une rente très modique, qui lui suffisait à peine pour vivre.

Elle ne s’en plaignait pas cependant, surtout, parce qu’elle commençait à se sentir indépendante, qu’elle avait déjà acquis une certaine notoriété et commençait à gagner sa vie. Elle allait tous les trois mois à Nohant et presque toujours, son mari soit seul, soit avec le petit Maurice, l’accompagnait ou venait à sa rencontre jusqu’à La Châtre ou à Châteauroux. En 1832, Aurore prit avec elle Solange et au mois de mai 1833, Maurice fut aussi amené à Paris et placé au collège Henri IV. Lorsqu’il venait à Paris, Casimir dînait chez sa femme, l’accompagnait au théâtre, mais ne descendait pas chez elle pour n’être gênés ni l’un ni l’autre. C’est ce qu’il lui écrit dans une de ses lettres :


5 décembre 1831.

« J’ai reçu ta lettre il y a dix jours, qui m’a fait plaisir ; vaut mieux tard que jamais, dit-on, j’y aurais répondu plus tôt, mais Mme  Hippolyte a reçu une lettre de toi le lendemain de la mienne… Je pars mercredi ou jeudi au plus tard pour Paris, j’y serai samedi matin probablement, je descendrai chez Hippolyte, parce que je ne veux te gêner nullement, ni par conséquent être gêné, ce qui est bien juste.

« Les enfants se portent bien et nous aussi ; adieu, je t’embrasse de tout mon cœur.

« Casimir. »

Aurore, de son côté, écrivait à son mari et, dans ses lettres à Maurice, n’oubliait jamais d’envoyer un salut et un baiser « à son papa », tâchait toujours d’inculquer à son fils l’obéissance à son père et de ne pas laisser soupçonner au jeune garçon qu’il y avait quelque chose de brisé entre ses parents.

Elle exécutait les commissions de Casimir et lui envoyait de petits cadeaux ; Casimir, de son côté, poussait l’amabilité jusqu’à lui louer ou lui acheter, à la fin de 1832, un piano. Ce dont, dans sa lettre à Maurice du 20 décembre 1832[13], George Sand prie celui-ci de remercier son père. Mais ces rapports ne dépassaient pas ces amabilités extérieures ; Casimir ne s’inquiétait nullement de savoir comment sa femme se tirait d’affaire toute seule à Paris avec des ressources si modiques et comment elle vivait. Elle, de son côté, se regardait comme tout à fait indépendante, pouvant entièrement disposer d’elle-même, et c’est pourquoi ses relations avec Sandeau et plus tard avec Musset furent tout autres que son amour céleste pour Aurélien de Sèze. Casimir ne pouvait ignorer ce que tout le monde savait et ce qu’Aurore, de son côté, ne cachait nullement ; mais, à ce qu’il semble, cela ne l’affligeait point et n’apportait aucun changement dans le ton amical de ses lettres. Ainsi, le 17 mai 1833, il lui écrivait :

« Tout le monde me demande beaucoup de tes nouvelles, gens de la ville comme de la campagne, j’ai répondu à chacun selon son mérite et ses capacités. Adieu, porte-toi bien, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que la grosse Solange. Tout à toi.

« Dudevant. »

Et lorsqu’Aurore fut partie avec Musset pour l’Italie, Casimir lui envoya même là-bas des lettres absolument gentilles et s’éleva jusqu’au lyrisme pour lui conseiller de ne pas regarder d’un œil distrait et tranquille ce pays où son père, Maurice Dupin, s’était autrefois battu, dont les champs avaient été arrosés du sang des soldats français et où tout parlait des gloires d’autrefois[14]. Il n’y a qu’une seule chose que l’on ne trouve jamais dans ses lettres : reproches, quels qu’ils fussent, prières de rentrer au foyer conjugal, en un mot, aucun regret de la séparation. Selon toute apparence, Casimir, tout comme Aurore, était parfaitement content de ce nouvel arrangement.

Mais ces relations amicales finissaient toujours par s’altérer chaque fois qu’Aurore séjournait quelque temps à Nohant ; les premiers jours, les choses se passaient bien et paisiblement, mais bientôt reparaissaient la brutalité, les paroles outrageantes, les menaces, les cris. À cela venait encore s’ajouter le reproche adressé à Aurore de ce qu’elle « dérogeait » par son métier d’écrivain. Fréquemment, Casimir se déchaînait contre ses enfants, qui n’étaient nullement fautifs, surtout contre Solange, qu’il prit en grippe. Ces scènes pénibles se renouvelèrent de plus en plus en l’automne de 1834, quand, après son voyage en Italie, brisée moralement et physiquement malade. Aurore sentit vivement le besoin de passer avec ses enfants quelque temps dans le calme de Nohant. Les sorties brutales de Casimir commencèrent alors à prendre davantage encore un caractère sauvage. Ainsi, un jour, en présence de plusieurs personnes qui dînaient à Nohant, entre autres de Rozanne Bourgoing et de son mari (c’étaient de grands amis d’Aurore), Dudevant se fâcha d’une manière si inconvenante contre Solange, que la fillette, tout effrayée, fondit en larmes et, sans attendre que le dîner fût fini, sortit de la salle à manger, ce qui amena son père à l’accabler, elle et sa mère, de paroles absolument grossières. Une autre fois pour une bouteille qu’on avait laissée tomber, et à la suite de l’ordre donné par Aurore d’en apporter une nouvelle, Dudevant se mit de nouveau à crier contre sa femme en présence de leurs convives, et s’oublia jusqu’à défendre aux domestiques d’exécuter les ordres qu’elle donnait, car à Nohant lui seul prétendait être le maître.

Vers cette même époque Mme  Dudevant s’aperçut que les affaires de Casimir étaient tout embrouillées. « M. Dudevant a mangé 80 000 francs à lui sans augmenter d’un dénier ma fortune », disait Aurore, dans une lettre à M. Accolas dont nous avons déjà cité deux fragments dans le Chapitre V. « Il est bon de faire savoir que ses acquisitions de terres n’étaient que le remploi forcé de mes rentes sur l’État qu’il a aliénées. Il m’en a fait vendre pour 48 000 et il a acheté pour 46 000. Ainsi il a bien mangé son fonds et son revenu en tant qu’il a pu le faire. Il a toujours fait de très mauvaises acquisitions et n’a jamais pu voir clair dans leurs produits. Il s’était engagé par traité amiable à me faire retirer 1 400 de la locature du Grand Moulin et il n’a pu l’affermer que 1 200… »

Casimir n’avait plus pour fortune personnelle que 1 200 francs de rente. Ayant remarqué qu’il était devenu très soucieux, Aurore se mit à le questionner, et ayant appris que c’était pour une question de dettes qu’il s’inquiétait, elle lui céda un coupon de ses rentes patrimoniales. Il en fut enchanté. Néanmoins, Aurore commença à s’inquiéter pour la fortune de ses enfants… « S’il ne prend pas un parti décisif, écrit-elle à Hippolyte dans une lettre inédite de janvier 1835, il sera forcé de me ruiner avant dix ans, car il n’a pas de tête et rien de ce qu’il fait ne réussit. Il y a trois ans il avait décrété que je devais demander l’aumône ou faire des dettes. Depuis ce temps j’ai acquis 15 à 20 000 francs de rente par mon travail et je n’ai pas contracté de dettes[15]. Tandis qu’il est arrivé, Dieu sait comment, à se trouver en face d’une dette de 20 000 francs et d’un commencement de ruine… » Hippolyte et leurs autres amis conseillèrent alors aux deux époux d’effectuer une séparation de biens. Casimir accepta avec plaisir, il s’ennuyait à Nohant, se sentait incapable de le gérer et aurait voulu s’installer à Paris en garçon. Aurore, de son côté, avait beaucoup de peine à vivre, quoiqu’elle travaillât énormément. C’est ainsi qu’en 1835, d’un commun accord, un contrat fut passé entre les époux, stipulant formellement une séparation de corps et de biens. Les enfants devaient être partagés entre les parents. Nohant fut attribué à Aurore, et l’Hôtel de Narbonne à Casimir ; Solange devait être confiée à sa mère, et Maurice, jusqu’à la fin de ses études, devait passer un mois de ses vacances auprès de sa mère et l’autre chez son père. Aurore se chargeait de payer à son mari 3 800 francs annuellement, ce qui, avec ses 1200 francs, lui constituait 5000 livres de revenu ; outre cela, elle prenait l’obligation de continuer l’ancienne rente qu’elle faisait à sa propre mère et aux vieux domestiques de Nohant. Dans la même lettre du mois de janvier 1835, elle confiait sous le sceau du secret, à son frère Hippolyte, qu’elle consentait même à payer peu à peu les dettes de son mari « tout peu mignon qu’il était », quoiqu’elle sût qu’il l’eût laissé enfermer même pour 20 francs de dettes et, qu’étant mariés sous le régime dotal, elle n’était pas responsable des dettes qu’il avait pu contracter.

Ce traité devait entrer en vigueur à partir du 11 novembre 1835. Mais à peine fut-il signé, que Dudevant regretta de voir ses revenus diminués. Aurore, et cela se comprend, aurait voulu que cet arrangement fut maintenu, toutefois selon son habitude, reculant devant la nécessité de causer un désagrément à autrui et toujours prête à se restreindre, elle déchira le contrat dont elle envoya les morceaux à Duteil pour qu’il les remît à Casimir, exigeant seulement une petite augmentation de rente pour l’éducation de Solange. Mais Casimir répondit qu’il ne voulait point annuler le traité ni reprendre sa parole, qu’il ne voulait plus vivre en commun avec Aurore, ni avoir aucune affaire avec elle, et qu’il voulait, dès que le contrat entrerait en vigueur, partir pour Paris et s’y établir. Il recopia lui-même le traité, le signa et le renvoya à sa femme. Duteil et Hippolyte, qui s’étaient entremis pour amener un accord entre les deux conjoints, croyant que les intentions du mari étaient pacifiques, qu’il voulait éviter le scandale et le bruit, persuadèrent à Aurore que Casimir ne lui causerait à l’avenir aucun désagrément. Il ne restait qu’à patienter jusqu’au 11 novembre. Aux vacances d’automne de 1835, Aurore revit sa vieille demeure, qui devait bientôt lui revenir, et, ayant remarqué que Casimir était tant soit peu triste à l’idée de devoir quitter Nohant, elle le pria, malgré le traité, d’y revenir chaque fois qu’il le désirerait. À son grand étonnement il lui fut répondu par de nouvelles brutalités, par la défense réitérée aux domestiques d’obéir à « madame », en un mot son mari donna de nouvelles preuves qu’on ne pouvait se fier à sa parole. Enfin, le 19 octobre 1835, survint à Nohant la scène la plus affreuse que l’on puisse imaginer. Cela se passa, comme en 1824, pendant qu’on prenait le café après le dîner. La crème vint à manquer, et le père ordonna à Maurice d’aller en chercher. Le petit garçon ne partit pas aussitôt et s’assit à côté de sa mère. Celle-ci lui dit : « Est-ce que tu n’as pas entendu ce que ton père t’a ordonné de faire ? » Ces paroles exaspérèrent Dudevant, on ne sait trop pourquoi ; il se mit à vociférer à propos de la mauvaise éducation que recevaient ses enfants. Ne voulant pas que Maurice fût témoin de cette querelle, Aurore ordonna à son fils d’aller dans sa chambre. Mais Dudevant encore plus irrité cria : « Sors toi-même, » et il se jeta sur sa femme avec l’intention de la battre. Les convives s’interposèrent et l’un d’eux couvrit Aurore de son corps, tandis qu’un autre saisissait Dudevant par les épaules ; mais celui-ci se dégagea, passant sous le bras de l’ami qui protégeait Aurore et saisit violemment la main de sa femme. On parvint néanmoins à l’entraîner. Alors, exaspéré et furieux, il s’écria qu’il tuerait sa femme et il se précipita dans l’antichambre pour prendre un fusil. Duteil[16], qui au commencement de cette scène, était resté impassiblement assis à table, la tête baissée, se leva en entendant Aurore lui crier : « Que regardez-vous là ? » Voyant Casimir entrer dans la chambre avec un fusil à la main, il se jeta à son tour à sa rencontre et le désarma à l’aide des autres convives[17].

Aurore alla s’enfermer dans sa chambre, ou Maurice la suivit en pleurant. Elle le consola comme elle le put, mais en son âme elle prit la résolution bien arrêtée et définitive de ne plus avoir à subir de telles violences et de ne plus donner à ses enfants le spectacle de scènes aussi révoltantes. Et comme elle ne pouvait dorénavant se fier à son mari, malgré le traité et la parole donnée, elle jugea qu’il fallait mettre fin à cette vie impossible, où elle et Dudevant ressemblaient à deux forçats rivés à la même chaîne et se haïssant l’un l’autre. Duteil essaya encore de persuader à Aurore de faire la paix avec son mari, mais elle n’y consentit pas. Elle se rendit à Châteauroux chez le vieil avocat Rollinat, père de son ami de prédilection, François Rollinat, et à Bourges, chez Michel, prit conseil de ces deux amis et résolut d’adresser au tribunal une demande en séparation.

Ne voulant pas rester seulement une heure sous le même toit que Dudevant, elle alla passer la journée du lendemain dans les bois environnants, en excursion avec ses enfants que Dudevant emmena aussitôt après à Paris pour la rentrée des classes. Aurore resta d’abord seule dans le silence et le calme de Nohant, puis elle alla demeurer chez les Duteil.

Le 30 octobre 1833, Aurore Dupin, dame Dudevant, porta une plainte contre son mari devant le tribunal de La Châtre, en demandant la séparation de corps pour injures graves, sévices et mauvais traitements. C’est par cet acte que s’ouvrit entre les deux conjoints le procès qui dura plus de deux ans et ne prit fin qu’en 1838. Le 2 novembre, les deux parties devaient comparaître devant le tribunal, mais Dudevant prévoyant qu’il lui serait défavorable de se défendre et qu’il valait mieux que tout se passât sans bruit, ne parut pas. Par décision du tribunal du 1er  décembre, les faits allégués par la plaignante furent reconnus pertinents et admissibles » et il lui fut enjoint de les prouver devant le juge-commissaire. Ce jugement fut signifié au domicile de M. Dudevant le 2 janvier 1836, les pièces en furent remises à l’un des domestiques de M. Dudevant, et le même jour l’audition des témoins fut fixée au 14 janvier. À cette date on interrogea un grand nombre de témoins, entre autres : Duteil, Papot, les Bourgoing (mari et femme) le docteur Charles Delaveau, Néraud, Planet, le jardinier, les domestiques, les cochers, et M. Jules Boucoiran, venu du Midi à cette seule fin. Le procureur Daiguzon, en déclarant cette enquête excellente, dit plus tard que parmi les témoins on devait remarquer M. Boucoiran, cet « homme calme, prudent et sage et assez connu dans le pays pour répondre à tous les doutes » élevés contre l’impartialité des témoins. « Un homme si impartial, si intègre, si grave, a-t-il dit, est précisément celui de tous les témoins qui accuse le plus sévèrement M. Dudevant. » Une copie du procès-verbal fut déposée au logement de Dudevant avec assignation à comparaître à l’audience du 16 février « pour ouïr adjuger à la dame Dudevant les conclusions par elle prises ». Dudevant persista à se taire et ne donna aucun signe de vie. Le 16 février le tribunal rendit par défaut son jugement, reconnaissant prouvées par l’enquête du 14 janvier les « injures graves, sévices et mauvais traitements » rapportés par Mme Dudevant à l’appui de sa demande ; ordonna la séparation des époux et chargea un notaire de procéder au partage « de la communauté et des reprises de la femme ». Dudevant n’ayant pas non plus paru chez le notaire, qui l’avait convoqué à se présenter devant lui, l’acte de séparation fut passé en due forme, et une copie en fut remise à Dudevant. Telle fut la fin du premier acte de ce drame judiciaire.

Depuis l’instant où elle avait présenté la demande en séparation jusqu’au jour de la prononciation du verdict, Aurore était restée chez Mme Agasta Duteil, femme de Duteil. Il est d’usage en France qu’une femme qui se sépare de son mari, pour n’avoir à encourir soi-disant aucun soupçon pendant l’enquête et la procédure, fasse une retraite ou se mette sous la tutelle d’une personne honorable, indiquée ordinairement par le président du tribunal. La personne désignée par le président du tribunal de La Châtre fut Mme Duteil, et Aurore fut enchantée de s’établir chez une femme qui lui était si sympathique, de passer son temps dans le cercle des parents et des amis de Duteil et surtout de s’occuper des enfants qui étaient réunis dans cette maison quelquefois au nombre de quatorze. Occuper et amuser ces enfants faisait la joie de George Sand, qui avait toujours aimé la société des petits. Si néanmoins, elle s’ennuyait quelquefois, c’est que, par la volonté du sort et de son seigneur et maître, elle était loin de Maurice et de Solange qu’elle adorait. « Ah ! oui, c’était là mon empire et ma vocation, j’aurais du être bonne d’enfants ou maîtresse d’école », ajoute-t-elle après avoir raconté comment elle divertissait ces enfants. Le soir, quand ils étaient tous couchés, elle donnait d’abord ses soins à Agasta Duteil, alors malade, puis elle se mettait à travailler, écrivant souvent jusqu’au lever du soleil. Dans l’Histoire de ma Vie[18], dans ses lettres à Mme d’Agoult[19], dans ses lettres inédites à sa mère du 11 novembre 1835, à Guéroult de janvier 1836, et enfin dans sa lettre à Mme Saint-Agnan du 6 janvier 1836[20], George Sand nous décrit en détail son séjour à La Châtre, la maison qu’elle habitait et la manière dont elle y passait son temps. Elle nous raconte aussi qu’elle devait faire bien attention à chacun de ses pas pour éviter les potins et pour ne pas donner motif aux commères de soulever contre elle par leurs cancans l’opinion publique ni d’indisposer ses juges. Sa lettre à Guéroult est surtout remarquable à cet égard :

« Je vous inviterais volontiers, écrit-elle, chez les Duteil, si je n’étais obligée à mener une vie très régulière aux yeux des imbéciles au milieu desquels je vis. Heureusement cela m’est bien facile maintenant. Mais si l’on vous voyait arriver de Paris à La Châtre, la femme de tel juge, la cousine de tel autre, la fille de la sœur de la servante de la mère de tel autre prononceraient le haro sur ma cause, en décrétant que vous êtes un amant, la source et la cause de ma rupture conjugale. Ainsi me voilà condamnée à vivre dans cette bourgade charmante, dont je me suis amusée si souvent et d’en respecter les us et coutumes. Vous ririez si vous pouviez voir avec quelle grâce je m’en acquitte et de quel air patelin je traverse les rues hérissées de pierres et les places couvertes d’oisifs. Je m’amuse non pas d’eux, mais de moi-même, et comme j’ai une jolie chambre bien propre pour travailler, je me trouve là aussi bien qu’ailleurs… »

Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand raconte qu’après le premier verdict du tribunal qui lui rendait Nohant avec ses enfants, elle était allée habiter sa vieille maison, alors à l’état de maison déserte par suite de l’absence de son mari et de ses enfants et du congé donné aux anciens serviteurs, et qu’elle y avait passé quelques semaines, en pleine solitude, en attendant l’arrivée de Dudevant au pays pour procéder à la liquidation des biens. Sa solitude semble avoir été absolue, car, dit-elle, « je ne gardai que le vieux jardinier de ma grand’mère, établi avec sa femme dans un pavillon au fond de la cour. J’étais donc absolument seule dans cette grande maison silencieuse. La femme du jardinier n’entrait dans la maison que pour faire ma chambre et m’apporter mon dîner. Je ne recevais même pas mes amis de La Châtre[21] »… »

Toutefois par une lettre à la comtesse d’Agoult, datée du 1er  novembre 1835[22] nous voyons au contraire que c’est en automne, immédiatement après la fuite de Dudevant, qu’elle a vécu d’une vie toute solitaire à Nohant. M. Rocheblave[23] attribue cette lettre à janvier 1836, sa première partie semblant être une réponse à la lettre de Mme d’Agoult du 22 novembre et précédant celle du 15 janvier. Mais si c’est exact pour la première moitié de la lettre — la dernière fut sûrement écrite en automne. Quant à la lettre de la comtesse datée du 15 janvier, elle peut parfaitement être considérée comme une réponse tardive à la lettre de George Sand, écrite bien avant janvier, et c’est même pour cette maison que tout en assurant qu’elle répond subito, et tout en répondant à l’image que George Sand avait faite d’elle-même en s’appelant porc-épic, et s’intitulant, à son tour, tortue renfermée sous ses écailles, la comtesse semble souligner, et cela dès les premières lignes, sa lenteur ; c’est avec intention aussi qu’elle parle du cadeau de Liszt pour ses étrennes — « une magnifique perle montée en forme de tortue, symbole, suivant lui de la rapidité et de la mobilité de ses pensées ». George Sand ne put passer à Nohant quelques semaines (deux ?) qu’entre le 19 octobre et le 3 novembre, car à partir du 3 novembre jusqu’au jugement du 16 février, elle resta tout le temps chez les Duteil ; elle ne put rentrer à Nohant qu’après. Mais après ce jugement, le 17, elle était encore à La Châtre, le 18, idem, le 20, elle y était également le 26, et le 28 elle était à Bourges, le 5 mars de nouveau à La Châtre, vers le 15 mars à Paris. On voit par là que, au cours de cet hiver et « après » le jugement, elle ne put faire à Nohant qu’un séjour de quelques jours[24].

Conséquemment, si nous prenons en considération : 1° la parfaite ressemblance de ce qui est raconté dans la lettre datée du 1er  novembre avec ce qui, dans l’Histoire de ma Vie, est rapporté au mois de février ; 2) le contenu de cette lettre, écrite indubitablement avant le verdict et bientôt après le commencement du procès ; 3° l’absence de toute indication et l’invraisemblance du fait que George Sand eut pu s’établir à Nohant, entre le jour de l’enquête (14 janvier) et celui où elle rentra en possession de Nohant (16 février) ; 4° l’impossibilité d’insérer ces « quelques semaines » en n’importe quelle époque « après le jugement », — nous sommes en droit de conclure que le séjour dans la maison déserte doit se rapporter à l’automne, c’est-à-dire du 19 octobre au 3 novembre. Nous avons, pour appuyer notre opinion, la lettre du 1er  novembre, dont nous allons citer quelques fragments en soulignant les passages sur lesquels nous voudrions attirer l’attention du lecteur. « Il faut que vous sachiez que je suis toujours à la campagne, chez moi. Je plaide en séparation contre mon époux, qui a déguerpi, me laissant maîtresse du champ de bataille. J’attends la décision du tribunal. Je suis donc toute seule dans cette grande maison ; il n’y a pas un domestique qui couche sous mon toit, pas même un chien… Je ne reçois personne, je mène une vie monacale. J’attends l’issue de mon procès, d’où dépend le pain de mes vieux jours… Voyez ! Il a eu l’heureuse idée de vouloir me tuer un soir qu’il était ivre. En attendant que cette benoîte fantaisie de meurtre conjugal me rende mon pays, ma vieille maison et cinq ou six champs de blé qui me nourriront quand mes longues veilles m’auront jetée dans l’idiotisme, je fais le Sixte-Quint. Mon cheval est rentré sous le hangar et on n’entend pas voler une mouche autour de mon cloître désert. Le jardinier et sa femme, qui sont mes factotums, m’ont suppliée de ne pas les faire demeurer dans la maison. J’ai voulu en savoir le motif. Enfin le mari baissant les yeux d’un air modeste, m’a dit : « C’est que madame a une tête si laide, que ma femme étant enceinte, pourrait être malade de peur. » Or, c’est de la tête de mort qui est sur ma table dont il voulait parler (du moins à ce qu’il m’a juré ensuite) ; car je trouvai la plaisanterie de fort mauvais goût et je me fâchai. Ensuite j’ai songé que cette tête si laide ferait grand effet. J’ai permis à mon jardinier de s’éloigner et de garder la pensée que cette tête était un signe de pénitence et de dévotion… »

George Sand en agissant ainsi préférait trouvait moyen de se passer des services du jardinier et de sa femme, car d’une part elle savait que la nouvelle de son repentir irait bientôt jusqu’aux deux petites villes berrichonnes où demeuraient les juges chargés de la question de lui restituer ses enfants, d’autre part cela la garantissait de la visite des curieux. Or, il est à croire que sa solitude ne fut pas toujours absolue et que son cheval ne restait pas toujours « sous le hangar ». Lorsqu’elle ne pouvait pas aller elle-même à Bourges chez son ami, celui-ci arrivait soit à Nohant, soit à Saint-Amand ou à la Châtre où elle allait à sa rencontre à cheval. Mais personne ne le soupçonnait. Bien au contraire, d’après ce qu’elle dit elle-même : « … À une lieue d’ici, quatre mille bêtes me croient à genoux dans le sac et dans la cendre, pleurant mes péchés comme Madeleine. Le réveil sera terrible. Le lendemain de ma victoire, je jette ma béquille, je passe au galop de mon cheval aux quatre coins de la ville. Si vous entendez dire que je suis convertie à la raison, à la morale publique, à l’amour des lois d’exception, à Louis-Philippe, le père tout-puissant, et à son fils Poulot-Rosolin, et à sa sainte chambre catholique, ne vous étonnez de rien. Je suis capable de faire une ode au roi et un sonnet à M. Jacqueminot[25] ».

Il est donc hors de doute que ce séjour à Nohant en compagnie du jardinier et de la tête de mort, pendant « quelques semaines » (que George Sand fit, selon l’Histoire de ma Vie après le jugement), doit être en réalité rapporté à la fin de l’automne de 1835, époque où elle « était toujours » encore « à la campagne, chez elle… ».

Dudevant était, à ce qu’il semble, tellement convaincu de son tort et se soumettait si bien d’avance au verdict qu’on pouvait prévoir, que dès le commencement de l’instruction du procès, il s’était démis de ses fonctions de maire de Nohant et s’était transplanté à Paris. De leur côté, Duteil et Hippolyte, le procès étant encore pendant, avaient fait des démarches afin d’obtenir à l’amiable une séparation, quelque verdict que prononçât le tribunal ; dans ce but, le 12 novembre c’est-à-dire le lendemain de la mise en vigueur du premier traité, il en fut conclu un second, qui, sur les points essentiels, contenait les mêmes clauses. Le premier article de ce traité commence par ces mots : « Dans la prévision du succès de la demande intentée par Mme Dudevant contre son mari… », etc. Et dans la clause finale de ce même traité, on lit : « Ces conventions seront exécutées de bonne foi par les parties qui s’y engagent sur l’honneur, nonobstant toute disposition de jugement ou arrêt qui y serait contraire. »

Casimir, installé à Paris, était satisfait de la tournure que prenaient les choses. Le 12 décembre, Hippolyte écrivait de Corbeil à sa sœur : « Tu n’as rien à craindre des conseils de ta mère auprès de Casimir, il ne la voit pas, il m’a dit à cet égard sa manière de voir : son plus grand désir est d’éviter tout scandale en obtenant la séparation si faire se peut, mais jamais les avocats, les juges n’interviendront dans ses affaires quant à sa volonté. Tu peux poursuivre et obtenir cette séparation qui te tient tant à cœur, il se tiendra en repos. Il paraît très content de sa position pourvu qu’on ne le tracasse pas. La justice apportera nécessairement une grande longanimité dans cette affaire, serait-il plus avantageux pour toi de t’en référer à elle ou de vous en tenir à vos premières conventions ? Je pencherais pour ce dernier parti. Fais là-dessus ce que les conseils jugeront à propos. Il est hors de sens de prévoir que ton mari ira te tracasser avec un revenu qui le rend tout à fait indépendant et lui donne plus d’aisance qu’il n’en aurait, jouissant de toute ta fortune. Ce qui lui pesait le plus était de tenir à la maison de Nohant, il en est tout à fait débarrassé. Je te donne ma parole d’honneur qu’il laissera faire… »

Il se trouve cependant qu’Hippolyte avait vainement donné sa parole pour Dudevant en répondant de sa bonne foi et que Duteil s’était inutilement porté garant pour son ami, Casimir ne se croyait guère obligé de remplir ce qu’il avait promis « sur l’honneur ». D’un autre côté il trouva des conseillers qui s’efforcèrent d’envenimer sa haine contre sa femme et d’empêcher la séparation des époux, quoique ces deux choses s’excluaient mutuellement. Un de ces principaux conseillers était sa belle-mère, la baronne Dudevant. À en juger par certaines allusions des lettres d’Aurore et d’Hippolyte (entre autres dans les premières lignes de la lettre du 12 décembre dont nous venons de citer un fragment), il semble que la mère d’Aurore, Sophie Dupin, savait aussi en cette affaire jeter de l’huile sur le feu. Quoi qu’il en soit, le 8 avril 1830, Casimir Dudevant présenta au tribunal une opposition aux jugements du 1er  décembre et du 16 février, en s’appuyant sur les vices de la procédure, et le 14 avril renouvela cette opposition par requête signifiée d’avoué à avoué, par laquelle il protestait sur le fond contre le jugement du tribunal, attaquait de nullité l’enquête, demandait une contre-enquête ayant pour but de faire déclarer la demande de Mme Dudevant non recevable et non fondée. En conséquence, l’affaire des époux Dudevant fut de nouveau portée devant le tribunal civil de la Châtre, les 10 et 11 mai 1836. Les défenseurs étaient Vergne, du côté du mari, Michel de Bourges du côté d’Aurore.

Vergue commença son plaidoyer en renonçant à répliquer sur le fond ; le document du 14 avril (sorte de déposition de servantes congédiées) lui paraissait « d’une telle atrocité », qu’il n’osa le lire, sentant bien que par là il perdrait son client. Et malgré toutes les sommations de l’avoué de Mme Dudevant, il se borna à indiquer certaines erreurs qui avaient été commises, dans le cours de l’instruction du procès, c’est-à-dire déclara qu’il ne voulait plaider que sur les motifs formels de la nullité de la procédure.

Alors Michel de Bourges prit la parole. Répondant d’abord au plaidoyer de la partie adverse et montrant tout le danger qu’il y aurait pour la justice d’admettre M. Dudevant à faire une contre-enquête six mois après l’enquête, Michel de Bourges aborda ensuite la question du fond de l’affaire. Cette partie de son plaidoyer conquit aussitôt toute la salle. Il fit devant les juges toute la biographie d’Aurore Dudevant et exposa brièvement tout ce que nos lecteurs savent déjà. Il raconta son mariage, l’histoire du contrat de mariage et des affaires d’argent. Il dit comment les discordes surgirent dans le ménage, attira l’attention sur l’isolement intellectuel d’Aurore et sa longue patience, mit sous les yeux des juges des traits de la brutalité de Dudevant, de son ivrognerie, de ses infidélités. Il raconta comment, dès 1831, Aurore, au su et du consentement de son mari, avait mené une vie tout à fait indépendante, tandis que lui, Dudevant, jouissant de ses revenus à elle et vivant dans la maison de sa femme, ne trouvait à cela rien de répréhensible pour lui, comme aussi il ne trouvait rien à redire contre la liberté dont usait sa femme, et n’avait jamais exprimé le désir de la voir réintégrer le domicile conjugal. Michel exposa enfin les faits qui s’étaient passés en 1834 et 1835. En ce qui concernait les traités, il démontra à l’évidence que l’on ne pouvait se fier à Dudevant, ni s’attendre à voir la vie d’Aurore garantie contre de nouvelles violences ; en conséquence il demanda au tribunal de rendre un jugement conforme au verdict du 16 février, c’est-à-dire de prononcer la séparation. À la fin de son plaidoyer, Michel s’était longuement arrêté sur la requête du 14 avril. Il rendit justice à son confrère, l’avocat de Dudevant, d’avoir su s’abstenir de lire l’acte contenant de tels « faits diffamatoires » et où il se trouvait, entre toutes, une accusation « qu’on eût pu se dispenser d’emprunter au célèbre procès de 1793 et que d’un mot une mère outragée repoussa victorieusement[26] ».

« Vous voulez, » continua Michel, « faire disparaître l’enquête, vous y cherchez des nullités de forme, sachant bien que le choix des témoins, leur moralité, l’esprit de conciliation qui les a toujours animés, ne vous permettent pas au fond d’en retrancher un mot ; vous gardez le silence sur ces traités, vous voulez nier les torts que l’enquête a mis au jour. Eh bien, supposons qu’il tombe d’en haut une larme céleste qui les efface tous ; déchirons la procédure, ne conservons que l’acte du 14 avril ! Il n’est pas un juge sur la terre qui, après en avoir pris lecture, puisse condamner votre femme à vivre avec vous, car vous ne concluez pas à la séparation, vous voulez au contraire que sa demande ne soit pas fondée, — cependant vous ne pouvez pas admettre qu’elle soit forcée à rentrer chez vous sous le poids d’une pareille haine ? Est-ce que vous voulez vous donner le plaisir de faire afficher sous ses yeux, dans sa propre maison, votre requête, ce monument de vengeance, que vous avez élevé contre elle ? Si elle rentre sous le toit que vous habitez, pouvez-vous, après ce que vous avez fait, la traiter avec égard ? Non, vous ne le pouvez pas ! L’outrage que vous lui avez fait est d’ailleurs ineffaçable. Cet outrage prouve que vous ne le voulez pas. Vous ne demandez donc pas votre femme. Mais cependant vous vous opposez à la séparation ! Vous voulez donc tous les avantages, tous les bénéfices du mariage sans en supporter les charges, sans en accomplir les devoirs ?… Je touche au terme de ma carrière, carrière pénible, difficile, dont le dévouement à l’amitié et au génie n’a pu aplanir les aspérités… » Alors, après avoir rappelé que depuis 1831 les époux n’avaient plus pu vivre que séparément (« accord parfait, expressions bienveillantes et gracieuses de la part du mari lorsque sa femme réside à Paris, en voyage, au loin ») ; qu’aussitôt qu’ils étaient ensemble, Aurore était en butte à des offenses de tout genre (« reproches, expressions amères, hostilité au moindre essai de rapprochement »), Michel, ne s’adressant plus à Casimir, mais aux juges, leur remit devant les yeux que l’acte du 14 avril soulignait l’aversion de Casimir pour sa femme, aversion qui avait déjà éclaté auparavant et était maintenant devenue publiquement notoire. « Les injures contenues dans la requête du 14 avril, injures atroces, infâmes, que l’avocat de M. Dudevant n’a pu se résoudre de prononcer à l’audience, mais qui sont acquises au procès, viennent donner un caractère excessif, ineffaçable à cette aversion déjà si prononcée, si publiquement exprimée. Et elles seules, en l’absence de tout autre grief, entraînent impérieusement la nécessité de faire ce que vous avez déjà fait, de maintenir le jugement qui prononce la séparation… »

Après les conclusions du procureur, le tribunal a statué : que l’opposition du sieur Dudevant aux jugements du 1er  décembre 1835 et du 16 février 1836 devait être admise et que, vu différents vices de la procédure, les deux jugements et l’enquête du 14 janvier devraient être annulés. Mais, prenant en considération que dans l’acte du 14 avril, par lequel Dudevant ne voulait pas attaquer, mais bien se défendre, étaient exposés des faits diffamatoires, attaquant l’honneur et la réputation de Mme Dudevant, et ne laissant aucun espoir de rapprochement entre les époux, le tribunal se voyait d’autant plus obligé de déclarer la séparation des époux, qu’elle était reconnue inévitable par les deux parties. Se fondant là-dessus, le tribunal prononça la séparation de corps et d’habitation de Mme Dudevant d’avec son mari, « défendant à celui-ci de la hanter et fréquenter sous telle peine qu’il appartiendra, » ordonna que les enfants issus de ce mariage resteraient à la garde de la mère qui devrait, selon ses moyens, subvenir à leur entretien et aux frais de leur éducation, et enfin renvoya les parties à se régler sur leurs droits respectifs, etc…

À l’arrivée du printemps, George Sand avait quitté les Duteil pour aller demeurer chez d’autres amis, les Bourgoing, dont la maison, plus fraîche que celle des Duteil, se trouvait tout au bout de la ville à l’emplacement des anciens remparts ; elle dominait un ravin au fond duquel coulait l’Indre ; une large plaine bordée à l’horizon de forêts s’étendait devant elle. Par la fenêtre de sa chambre Aurore pouvait descendre dans le jardinet rempli de roses et « perché en terrasse sur un précipice » et jouir de là d’une vue splendide. C’est cette maison avec son jardinet et son ravin qu’elle décrivit plus tard dans Jeanne. On peut la voir encore aujourd’hui à côté de la grise et antique tour de la prison de La Châtre.

Dans le cours du printemps et de l’été 1836, poussée par le changement qui s’était opéré en elle sous l’influence des idées de Michel, de Lamennais et de Liszt, George Sand voulut refaire Lélia dont le scepticisme et l’individualisme désespérés ne répondaient plus à sa manière actuelle de comprendre les choses. Et effectivement passant les journées en causeries et en jeux avec ses grands et petits amis, elle se remit à travailler la nuit, souvent jusqu’aux premiers rayons du soleil, refaisant et changeant Lélia. Elle y ajouta, nous le savons, tout un volume. Parfois, lorsque tout s’était calmé dans la maison et que seules les étoiles regardaient curieusement par la fenêtre de la chambrette, ornée à la villageoise, cette femme solitaire, courbée sur ses papiers, — alors elle descendait dans le jardin endormi et y passait des heures entières à méditer et à observer le mouvement des constellations. Elle savait au juste où se lèverait telle ou telle autre étoile, comment elle brillerait et changerait de couleur ; elle aimait à voir tous ces feux lactés, rouges ou diamantés s’éteindre peu à peu, vaincus par les lueurs de l’aube, et, dans le vaste et majestueux silence, à saluer le jour naissant. « Cela s’opère de mille manières différentes. Cette révolution, si uniforme en apparence, a tous les jours un caractère particulier[27] », écrit-elle à la comtesse d’Agoult, en lui décrivant ses contemplations nocturnes du firmament, ses promenades aux bords de l’Indre dont les fraîches ondes, où elle se plongeait « avec toutes ses draperies », lui donnaient des forces pour continuer son chemin malgré les chaleurs accablantes de midi[28]. On voit dans toutes ses lettres de 1836 à Liszt et à Mme d’Agoult briller ces étoiles tantôt pâles, tantôt étincelantes, et ces magnifiques levers de soleil ; on assiste à ses rêveries solitaires sur la terrasse, à ses courses à cheval à la brune ou sous les feux dardants de midi. Ces mêmes méditations enthousiastes, ces descriptions de nuits étoilées et d’aubes empourprées, nous les retrouverons dans les chapitres de la nouvelle Lélia. Nous les avons mentionnés déjà[29].

Cependant les relations de Michel avec son amie commençaient à prendre un caractère pénible et despotique. « J’ai des grands hommes plein le dos (passez-moi l’expression). Je voudrais les voir tous dans Plutarque. Là, ils ne me font pas souffrir du côté humain. Qu’on les taille en marbre, qu’on les coule en bronze et qu’on n’en parle plus. Tant qu’ils vivent, ils sont méchants, persécutants, fantasques, despotiques, amers, soupçonneux. Ils confondent dans le même mépris orgueilleux les boucs et les brebis. Ils sont pires à leurs amis qu’à leurs ennemis. Dieu nous en garde ! Restez bonne, bête même, si vous voulez. Franz pourra vous dire que je ne trouve jamais les gens que j’aime assez niais à mon gré. Que de fois je lui ai reproché d’avoir trop d’esprit. Heureusement que ce trop n’est pas grand’chose et que je puis l’aimer beaucoup…[30]. »

Le grand homme faisait donc de plus en plus souvent reconnaître à George Sand son isolement moral, et elle se sentait plus que jamais, bien qu’autrement que jusque-là, une Lélia incomprise et déçue. Et quoique, contrairement à ce qu’elle avait dit en 1833, elle écrivait maintenant : « Lélia n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela, mais c’est mon idéal. C’est ainsi que je conçois ma muse, si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse…[31] », elle avouait cependant quelquefois : « Lélia est le roman où j’ai mis plus de moi que dans tout autre livre[32]. »

Il n’y a donc rien d’étonnant si les idées générales formant la base de la nouvelle Lélia viennent à être formulées sous sa plume comme suit : « Se jeter dans la mère Nature ; la prendre réellement pour mère et pour sœur ; retrancher stoïquement et religieusement de sa vie tout ce qui est vanité satisfaite ; résister opiniâtrement aux orgueilleux et aux méchants ; se faire humble et petit avec les infortunés ; pleurer avec la misère du pauvre et ne pas vouloir d’autre consolation que la chute du riche ; ne pas croire à d’autre Dieu que celui qui ordonne aux hommes la justice, l’égalité ; vénérer ce qui est bon ; juger sévèrement ce qui n’est que fort ; vivre de presque rien, donner presque tout, afin de rétablir l’égalité primitive et de faire revivre l’institution divine : voilà la religion que je proclamerai dans mon petit coin et que j’aspire à prêcher à mes douze apôtres sous le tilleul de mon jardin.

« Quant à l’amour, on en fera un livre et un cours à part. Lélia s’expliquera sous ce rapport d’une manière générale assez concise et se rangera dans les exceptions. Elle est de la famille des Esséniens, compagne des palmiers, gens solitaria dont parle Pline. Ce beau passage sera l’épigraphe de mon troisième volume, c’est celle de l’automne de ma vie. Approuvez-vous mon plan de livre ? Quant au plan de vie, vous n’êtes pas compétente, vous êtes trop heureuse et trop jeune pour aller aux rives salubres de la mer Morte (toujours Pline le Jeune), et pour entrer dans cette famille où personne ne naît, où personne ne meurt, etc. »

Puis, ayant conté ses promenades solitaires et ses efforts pour trouver le bonheur en s’identifiant avec la nature, elle ajoute : « Je vous enseigne tous mes secrets de bonheur ; si quelque jour (ce que je ne vous souhaite pas et ce à quoi je ne crois pas pour vous) vous êtes seule, vous vous souviendrez de mes promenades esséniennes. Peut-être trouverez-vous qu’il vaut mieux s’amuser à cela qu’à se brûler la cervelle, comme j’ai été souvent tentée de le faire en entrant au désert. Avez-vous de la force physique ? C’est un grand point. Malgré cela j’ai des accès de spleen, n’en doutez pas ; mais je résiste et prie. Il y a manière de prier. Prier est une chose difficile, importante. C’est la fin de l’homme moral. Vous ne pouvez pas prier, vous. Je vous en défie et, si vous prétendiez que vous le pouvez, je ne vous croirais pas. Moi, j’en suis au premier degré, au plus faible, au plus imparfait, au plus misérable échelon de l’escalier de Jacob. Aussi je prie rarement et fort mal. Mais si peu et si mal que ce soit, je sens un avant-goût d’extases infinies et de ravissements semblables à ceux de mon enfance quand je croyais voir la Vierge, comme une tache blanche, dans un soleil qui passait au-dessus de moi. Maintenant je n’ai que des visions d’étoiles, mais je commence à faire des rêves singuliers[33]… »

Alors que George Sand était ainsi plongée dans les méditations, le travail et la recherche de l’équilibre moral, M. Dudevant interjeta appel au jugement du tribunal de La Châtre, et les 23 et 26 juillet 1836, l’affaire fut jugée par la Cour royale à Bourges.

George Sand se rendit à Bourges vers le commencement de juillet et s’installa encore chez des amis qui s’empressèrent à lui donner l’hospitalité, les Tourangin, apparentés aux Duteil, et qui d’emblée furent de vrais amis pour Mme Dudevant. Elle y passait le temps de la manière la plus bourgeoisement calme et la plus vertueusement occupée, en aidant Mme Tourangin à soigner ses petits frères et sa jeune sœur. Pourtant ce n’est pas sans appréhension qu’elle vit arriver le jour des débats, comme le témoigne cette Prière, écrite la veille de l’audience et que l’on pouvait lire, il y a quelques années, tracée au crayon sur le panneau de la boiserie d’une alcôve d’une vaste maison de la rue Saint-Ambroise, à Bourges, occupée en 1836 par les Tourangin :

Grand Dieu ! protège ceux
Qui veulent le bien, réprime
Ceux qui veulent le mal.
Marque tes enfants au
Front, afin que les impies
Les respectent.
Détruis le règne obstiné
Des Scribes et des Pharisiens,
Ouvre un chemin au voyageur,
Qui cherche tes sanctuaires.
(Fils de l’homme c’est
En ton nom qu’ils égorgent
L’ouaille au moment
Où tu la prends sur tes épaules).
Prends soin des enfants de
La veuve. Ouvre l’oreille
Du sourd et l’œil de l’aveugle.
Ton calice n’est plus amer
Depuis que tes lèvres y
Ont trempé. Dans nos
Nuits d’agonie nous
Cherchons la trace de tes pas au
Jardin des Olives,
Et nous espérons, parce que
Tu as ennobli nos souffrances,
Parce que tu as fait de
Dieu un refuge contre les hommes.

George.

24 juillet 1836[34].

Il est curieux de noter qu’à ce moment, où se jouait le finale de son drame conjugal, George Sand se souvint d’une amie qui avait été la spectatrice émue des tristes péripéties de ses premiers actes, la sage et vaillante conseillère de la Brède, Zoé Leroy, et elle lui écrivit, après un long silence, une lettre où elle l’invitait à venir la rejoindre à Bourges et lui racontait sa vie pendant ces dernières années. À ce qu’il paraît, Zoé Leroy ne put donner suite à cette invitation et ne vint pas à Bourges. Mais tous les autres amis de Mme Dudevant se réunirent autour d’elle ce jour-là ; les Fleury, Rollinat, Néraud, Planet, Papet, Duteil, tous vinrent à Bourges. D’autres encore accoururent de tous les points de la France. Entre autres Émile Regnault, son « frère » d’autrefois[35]. Il lui fit amende honorable « d’avoir épousé contre elle une mauvaise querelle », c’est-à-dire d’avoir pris parti contre elle, lors de sa rupture avec Sandeau. Le public fut donc très nombreux dans la salle le jour des débats. Le défenseur d’Aurore fut encore Michel. Thiot-Varennes plaida pour Dudevant. George Sand entra dans la salle du tribunal au bras de Michel ; elle portait une robe blanche, une capote de même couleur, une collerette tombante en dentelles et un châle à fleurs[36], — raconte le chroniqueur du Droit. Le lendemain, le même journal nous apprend en outre que sa voilette était à demi baissée. Thiot-Varennes en prenant la parole dit que toute la faute retombait sur Aurore, que les époux avaient vécu d’accord aussi longtemps qu’elle n’avait pas changé et n’avait pas cherché le bonheur ailleurs, etc. Il prétendit qu’ensuite, « entraînée par des penchants qu’elle ne voulut pas dominer, elle conçut une passion et y céda » ; que Dudevant avait appris que sa femme « adorée » l’avait trahi ; que dans sa générosité il avait tout pardonné ; qu’Aurore elle-même reconnaissait cette générosité dans une de ses lettres… Alors Thiot-Varennes lut un fragment de la lettre d’Aurore Dudevant du 8 novembre 1825 (dont nous avons parlé à propos d’Aurélien de Sèze), mais en ayant soin de ne lire que les passages où Aurore avouait qu’elle aimait ailleurs, puis les lignes où elle faisait appel à la bonté, à la générosité et à l’aide de son mari, etc… Il expliquait ensuite les causes de la froideur de Casimir par la divergence de leurs natures et de leurs caractères. Alors il passa à la rupture survenue en 1828, au départ pour Paris en 1831, à la pension de trois cents francs par mois qu’Aurore recevait de son mari, quoiqu’elle gagnât déjà beaucoup elle-même par son travail. Thiot-Varennes remarqua ensuite que quoique le traité du mois de février ne dût entrer en vigueur qu’à partir du 11 novembre, une plainte était déjà présentée le 30 octobre ; que le 12 novembre une nouvelle entente avait eu lieu ; que Dudevant pouvait alléguer pour sa défense tout ce qu’il voulait, même des faits qui seraient au désavantage d’Aurore ; que c’était dans l’intérêt de ses enfants qu’il avait voulu les garder et conserver la fortune ; et, comme preuve de l’immoralité de George Sand, Varennes lut un fragment d’un de ses romans, paru dans la Revue des Deux-Mondes ; enfin, il conclut à ce que le tribunal déboutât George Sand de sa plainte et à ce que le verdict du tribunal de première instance fut annulé.

Michel commença son plaidoyer en exprimant le regret que l’auteur d’Indiana, de Valentine et d’André ne se défendît pas elle-même. Après quoi, ayant reçu des mains de son adversaire la lettre d’Aurore Dudevant à son mari, dont Thiot-Varennes venait de se servir, il lui lut en entier les vingt pages. George Sand y raconte, comme nos lecteurs le savent déjà, le dénouement de son roman de Cauterets terminé d’une manière si touchante au pied des Pyrénées, devant la vaste grotte de Lourdes. Le sténographe de la séance nous dit que ce fragment « écrit à vingt ans avec une magie de style, un coloris brillant, digne des plus belles pages que l’auteur de Jacques a écrites depuis », fit une impression inénarrable, indescriptible.

Michel revint de son côté à la vie conjugale des Dudevant, mais, loin de porter aux nues la générosité de Casimir, il exprima le regret que Dudevant n’eût pas « le talent de la divination » lorsqu’il traitait sa femme d’idiote, de stupide, etc. Il fit également un retour sur les événements de 1828 à 1831, mais ce ne fut pas pour y trouver les beaux sentiments du mari, comme Varennes, mais pour en tirer la conclusion que Casimir aimait Nohant et l’argent bien plus que sa femme, et qu’on n’avait pas à rappeler ici la rente que Casimir lui payait assez mal, mais bien le fait qu’après la plainte portée contre lui le 30 octobre 1835, il consentit à l’arrangement du 12 novembre, en soutirant adroitement la promesse d’une rente de cinq mille francs. Son appel du 14 avril est « un véritable mouvement de démence judiciaire ». C’est Casimir qui est le seul coupable, Aurore seule a le droit de demander la séparation, car les trois motifs exigés par la loi : « excès, sévices et injures » sont bien constatés. S’adressant ensuite à Casimir, Michel continue : « N’est-ce pas vous qui l’avez forcée à désirer la séparation volontaire ? N’est-ce pas vous qui l’avez forcée à quitter le domicile conjugal en l’abreuvant de dégoûts ? Vous n’êtes pas seulement l’auteur des causes de cette absence, vous en êtes l’instigateur et le complice. N’avez-vous pas livré votre femme, jeune et sans expérience, à elle-même ? Ne l’avez-vous pas abandonnée ? Vous ne pouvez plus dire aux magistrats : « Remettez dans mes mains les rênes du coursier », quand vous-même les avez lâchées. Pour gouverner une femme il faut une certaine puissance d’intelligence, et qui êtes-vous, que prétendez-vous être, à côté de celle que vous avez méconnue ? Quand une femme est près de succomber, il faut être capable de la relever ; quand elle est faible, il faut la soutenir, être capable de lui donner un bon exemple ; et quel exemple pouvez-vous lui donner ? Pouvez-vous réclamer une femme que vous avez délaissée pendant huit ans ? Était-elle coupable, celle qui épanchait sa belle âme tout entière dans cette lettre que vous-même venez de livrer à la publicité des débats ? Ils étaient donc bien faibles ses torts, puisque vous êtes réduit à les chercher dans cette lettre qui la justifie ! »… (Michel relit encore un fragment de la lettre que le public écoute avec un murmure approbateur.) « Depuis, vous avez reçu votre femme, vous lui avez écrit, vous avez vécu intimement avec l’ami honnête et pur qui sut la respecter, vous lui avez serré la main. Pourquoi avez-vous délaissé une épouse qui ne méritait aucun reproche ? pourquoi l’avez-vous forcée à s’éloigner de vous ? »

Michel évoqua ensuite l’affaire de Mirabeau, qui aimait tant sa femme qu’ayant intenté un procès contre elle, il s’était réconcilié avec elle au tribunal se désistant de sa plainte. Puis, après avoir encore une fois désapprouvé l’indigne répétition qu’on faisait de l’accusation portée contre Marie-Antoinette, Michel réfuta victorieusement l’accusation d’immoralité basée sur les citations d’un roman. « Eh quoi ! parce que la plume de l’écrivain et du moraliste, parce que ses principes trouveront des esprits rebelles, des contradicteurs, elle sera une femme sans entrailles ? et pensez-vous, qu’aux yeux du philosophe, je serai un être dénaturé ? »… Le renouvellement se produit dans le vieux monde et tout se renouvelle ; de nouvelles idées hardies pénètrent dans les travaux du législateur, dans les œuvres du moraliste et de l’artiste.

« Parce qu’une femme cède aux caprices de sa lyre, aux aspirations d’un esprit créateur, vous la croiriez incapable d’élever ses enfants ? Non, messieurs, elle n’est pas indigne de leur tendresse et de leur prodiguer ses soins. Ces enfants marcheront sous la surveillance de leur mère dans le sentier de l’honneur et du devoir ; c’est moi qui vous en réponds. Et avec le système qu’on nous oppose, on refuserait les qualités d’un père tendre à ce Diderot, l’une des gloires du siècle passé, à Diderot, l’auteur de quelques pages licencieuses et de gravelures, à tant d’hommes de génie qui cependant donnèrent l’exemple de toutes les vertus domestiques ? »…

Comme conclusion de sa plaidoirie, Michel de Bourges lut quelques lettres de Maurice à sa mère et les réponses de celle-ci.

Après une interruption de la séance, Thiot-Varennes reprenant la parole insista sur l’immoralité et la légèreté de Mme Dudevant, tout en renonçant à trouver dans la lettre de 1825 une accusation directe de trahison envers son mari, mais en relevant surtout la générosité de Casimir et sa ligne de conduite digne de tout éloge. Michel le réfuta de nouveau brillamment.

Le procureur Corbin dit que jusqu’en avril, les torts peuvent en partie être rejetés sur Mme Dudevant. Il ne peut approuver la lettre qu’elle a écrite à son mari en 1825 ; si elle n’a pas trahi son mari, elle peut du moins s’accuser d’adultère moral. Son mari ne l’a point délaissée, elle a joui d’une pleine indépendance. La société peut reprocher au mari de ne pas s’être servi de ses droits et de n’avoir pas conseillé sa femme. Mais les « imputations infâmes et impies » du mari autorisent Mme Dudevant à demander la séparation. Le mari, pour se défendre, n’avait pas besoin de recourir à accuser sa femme. En conséquence, le procureur rejette la contre-enquête exigée par le mari pour les faits produits par lui contre sa femme et demande la séparation des conjoints. Mais il faut que Maurice reste sous la garde du père et Solange sous celle de sa mère.

La cour s’éloigna, et au bout de trois quarts d’heure d’attente, déclara que les voix des juges étant également partagées, une nouvelle plaidoirie des parties était fixée à lundi en huit. George Sand, dans l’Histoire de ma Vie et dans ses lettres, dit que presque tout le public assistant au procès de Bourges était d’abord contre elle, mais qu’à la fin du procès tout le monde — « le monde de Bourges qui est tout ce qu’il y a de plus cagot » — avait pris partie pour elle ; Michel avait gagné tous les cœurs, avait fait pleurer tout le monde : « Vous n’avez pas l’idée du succès moral que j’ai eu dans cette affaire », écrit-elle à Boucoiran le 1er  août[37]. Aussi, lorsqu’il fut annoncé que les voix des juges s’étaient partagées, « des huées et des sifflets[38] » éclatèrent dans la salle.

Dudevant, qui avait dû se laisser dire par la bouche du procureur des vérités assez dures retira son appel, pour ne pas avoir à en entendre peut-être de plus amères encore, et le 29 juillet 1836, les époux signèrent un nouveau traité, reproduisant celui qui avait été conclu, en n’y ajoutant qu’un seul article : Casimir payerait l’éducation de Maurice jusqu’à l’âge de vingt ans, et plus tard annuellement cent louis d’or pour son entretien. La femme payerait au mari cinq mille francs par an, ainsi que la rente due à sa propre mère et aux domestiques.

Là ne devaient pas finir les procès d’Aurore Dudevant avec son mari. Comme Maurice avait été confié à la garde de son père qui voulait l’élever militairement, mais qui, en réalité, s’occupait fort peu de son fils, et que la mère, voyant le dépérissement de l’enfant et son aversion pour la vie claustrée du collège, voulait le retirer de là, il surgit de nouveau des démêlés entre les époux divorcés. À cette époque, Maurice était malade, souffrait d’hallucinations, de palpitations de cœur ; le père n’y attachait aucune importance, ne croyait pas aux médecins, tandis que la mère y croyait trop, voulait y croire à tout prix et dorlotait son enfant. Mais il advint un jour, que le jeune garçon tomba si sérieusement malade chez son père, que Dudevant, effrayé, l’emmena immédiatement chez sa mère et le remit entièrement à ses soins. Il en fut pourtant tellement irrité que lorsque Aurore partit en 1837 afin d’aller soigner sa mère mourante, il enleva, pour se venger, Solange de Nohant, ce qui ne se fit pas sans de nouvelles brutalités et violences, et l’emmena à Guillery. Aurore s’empressa naturellement d’aller reprendre sa fille, mais ce qui la désespérait, c’est qu’elle ne pouvait jamais être sûre d’être à l’abri de semblables violences ; elle porta immédiatement plainte au tribunal.

Outre cela, Dudevant ayant hérité après la mort de sa belle-mère et se trouvant par là en possession d’une fortune considérable, George Sand, qui était seule chargée de l’éducation des enfants, trouvait juste de n’avoir plus à céder la moitié de ses revenus à son mari. Elle refusait donc non seulement de payer les frais d’entretien de Maurice, mais aussi la rente qu’elle faisait jusqu’alors à Dudevant, elle demandait aussi qu’on lui rendît l’hôtel de Narbonne qui avait été donné à Dudevant par le traité de 1836[39]. Cette fois, c’est Chaix d’Est-Ange qui fut son avocat. Paillet fut celui de Casimir. Le tribunal rejeta d’abord la demande de George Sand, car on ne pouvait i)as encore exactement savoir à quoi s’élevait l’héritage de Dudevant et si sa fortune s’était améliorée. L’affaire n’en vint pourtant pas à un procès définitif, et voilà ce qu’Aurore en écrivait à sa sœur, Caroline Cazamajou, le 15 mai 1838 : « Mon procès à la veille du jugement s’est terminé par une transaction entre M. Dudevant et moi. Je lui cède mes inscriptions de rentes sur l’État, montant à 40.000 francs, et il me rend l’hôtel de Narbonne. En même temps, il renonce à Maurice et à Solange et s’engage à ne plus me persécuter. Seulement, admire son amour paternel et son désintéressement : il demande à les voir tous les ans pendant quelques jours et à ce que je supporte la moitié des frais de leur déplacement pour aller le trouver. Tendre et généreux père ! Dans notre liquidation il n’a pas rougi de faire inscrire, par son avoué, au nombre de ses réclamations 15 pots de confiture et un poêle en fer de la valeur de 1 franc 50 centimes ![40] »…

Il semblerait difficile de pousser plus loin l’avidité, mais Dudevant ne s’en tint pas là, et trois ans après, en février 1841, il exigeait de nouveau quelque chose de sa femme. Elle écrit à ce propos à Hippolyte[41] : « Je ne comprends rien à la demande de 125 francs, de M. Dudevant. Apporte-moi une rédaction claire de sa prétention, afin que je consulte, et si cela est dû je le paierai. Mais cela ne finira donc jamais ? Faut-il être cuistre pour faire de pareilles réclamations ! Est-ce que Martin (avoué à La Châtre), qui ne l’est pas, ne devrait pas mettre cette bêtise aux oubliettes ? Je ne comprends pas pourquoi je dois payer cela. Mais enfin, avec lui, j’ai appris à ne m’étonner de rien… »

Dans sa lettre à Hippolyte, imprimée dans le second volume de sa Correspondance (p. 162) et servant de suite à la lettre que nous venons de citer, George Sand donne un autre exemple non moins incroyable de l’avarice outrée de Dudevant.

On voit par les lettres de George Sand que lorsque Maurice était devenu grand, il allait tous les ans passer quelque temps chez son père à Guillery, et qu’en 1846 les époux avaient déjà tellement oublié leurs anciens griefs, qu’ils vinrent à s’inviter l’un l’autre par la bouche de leur fils. Mais quand, à l’occasion du mariage de Solange, Dudevant vint lui-même à Nohant, George Sand, à propos de l’arrivée à Nohant du « baron et de sa suite », écrivit ce qui suit : « Jamais mariage ne fut moins gai, en apparence du moins, grâce à la présence de cet aimable personnage, dont les rancunes et les aversions sont aussi vives que le premier jour. Heureusement, il est parti à quatre heures du matin, le lendemain du mariage[42]. »

Plus tard cependant, lorsque le petit garçon de M. et Mme Maurice Sand mourut à Guillery, George Sand alla elle-même chez son mari et dit qu’il montra à cette occasion toute la compassion dont il était capable. Ils ne se revirent plus après ce triste événement. Dudevant mourut en 1871. Mais, dans les dernières années de sa vie, il avait intenté encore un procès à ses enfants à propos de questions d’argent (Voir la lettre de George Sand datée du 28 mars 1871. Correspondance VI). Le chroniqueur qui a essayé de conter la douloureuse histoire de George Sand et de Dudevant, sans s’éloigner un instant de la vérité historique ne veut pas prononcer son verdict. Les faits condamnent Casimir Dudevant, cela suffit. « On ne frappe pas celui qui est à terre », dit le proverbe russe.

  1. Lamennais l’invitait à venir faire un séjour à la Chenaie, mais elle n’y est pas allée. (Voir Histoire de ma Vie, t. IV, p. 375-376.)
  2. Voir plus haut.
  3. C’est-à-dire Sosthènes de la Rochefoucauld, qui fut constamment l’objet de moqueries et de calembours dans les lettres de Mme d’Agoult, de George Sand et de Liszt.
  4. C’est-à-dire « Much ado about nothing ».
  5. Voir Correspondance.
  6. Des points dans l’original.
  7. Mme d’Agoult occupait alors un petit chalet sur le Mont-Salève.
  8. Comparer avec les lettres : à Jules Janin du 15 février 1837, à Liszt du 28 mars, à Scipion du Roure du 13 avril, à la comtesse d’Agoult des 10 et 21 avril de cette même année (Correspondance, t. II) et surtout aux passages qu’on trouve aux pages 49, 55, 62 et 65. « Vous n’imaginez pas, mon ami, quel dégoût m’inspire à présent la littérature (la mienne s’entend). J’aime la campagne de passion, j’ai comme vous tous les goûts du ménage, de l’intérieur, des chiens, des chats, des enfants par-dessus tout. Je ne suis plus jeune. J’ai besoin de dormir la nuit, et de flâner tout le jour. Aidez-moi à me tirer des pattes de Buloz et je vous bénirai tous les jours de ma vie !… » — écrit-elle à Janin le 15 février 1837. « Je suis accablée de travail, soyez assez bon pour faire passer à Buloz le manuscrit que je vous envoie » (à Liszt le 28 mars). « Je ne puis d’ici à deux mois me dépêtrer de Mauprat et d’une nouvelle qui suivra immédiatement pour compléter des volumes… le travail m’écrase, et mes forces ploient sous le faix. » (À Mme d’Agoult, le 10 avril.) « Je suis éreintée de travail… » (à Scipion du Roure le 13 avril). « Je me suis embarquée à fournir du Mauprat à Buloz, au jour le jour, croyant que je finirais où je voudrais et que je ferais cela par-dessous la jambe. Mais le sujet m’a emportée loin et cette besogne m’a ennuyée, comme tout ce qui traîne en longueur. De sorte qu’au dernier moment de chaque quinzaine, depuis un mois et demi, me voilà suant sur une besogne qui m’embête, que je fais en rechignant. Je n’ai pas même le temps de dormir et je suis sur les dents !… » (À Mme d’Agoult, le 21 avril 1837.)
  9. Lettres de femme. (Revue Illustrée. 1891, n° 123.)
  10. Voir à ce sujet les Mémoires épisodiques d’un vieux chansonnier saint-simonien par Vinrard aîné (Paris, Dentu et Grassart, 1878), ainsi que les articles de Caribert : La dame bleue et George Sand (le Journal « Paris» 10 décembre 1889) et Les étrennes de Maurice Sand (le même journal, 10 septembre 1889). Mme Boutet, veuve du dernier saint-simonien, prétend par contre que ce fut Vinçard lui-même qui fut chargé de remettre les cadeaux à Mme Sand.
  11. Voir chapitre viii.
  12. Lettre du 12 novembre 1835 à Hippolyte Châtiron.
  13. Inédite.
  14. Au chapitre viii, en parlant des excursions de George Sand avec Pagello à Bassano, Parolino, etc., nous avons cité plusieurs passages de la réponse d’Aurore à cette lettre.
  15. Elle voulait sans doute dire par là qu’elle gagnait de 15 à 20 000 francs par an, et qu’elle pouvait dépenser ce produit annuel de son travail sans toucher à son capital.
  16. Alexis Pouradier Duteil ou Dutheil, grand ami de Casimir Dudevant et de sa femme, fut d’abord avocat à la Châtre, ensuite procureur à Bourges et enfin président de la cour d’appel de cette dernière ville. Aurore était, comme nous le savons, aussi très liée avec sa femme, Mme Agasta, née Mollier.
  17. Correspondance de George Sand, t. I. Lettre à la comtesse d’Agoult, du 1er  novembre 1835 ; — 2° Revue Encyclop. Lettre à Félicie Saint-Agnan datée de 1835 ; — 3° Lettres inédites : à Papet du 20 octobre, à Hippolyte du 4 novembre, à Boucoiran du 17 novembre, à Michel de Bourges de la fin d’octobre 1835 ; — 4° Comptes rendus de la séance de la cour de la Châtre et du Cher dans Le Droit, 1836, nos 240, 242 ; — 5° Histoire de ma Vie, IV, pages 377-385.
  18. T. IV, page 483-97.
  19. Correspondance, I et II.
  20. Revue Encyclopédique.
  21. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 388-389.
  22. Correspondance, t. I.
  23. Voir : Une Amitié romanesque.
  24. Par la correspondance de George Sand avec l’abbé Rochet (voir chap. xiii), nous soyons qu’au cours de cet hiver elle ne venait à Nohant que pour quelques heures, pour une journée tout au plus. Ne voulant pas d’abord confier à l’abbé, qu’elle ne connaissait encore que fort peu, les causes véritables de son absence, elle lui écrit de La Châtre… « Je dois pour ne pas vous exposer à m’attendre ou à ne pas me rencontrer, vous prier de m’avertir un jour ou deux à l’avance ; occupée d’un procès grave, je suis souvent en courses dans les environs et je craindrais d’être précisément absente si je n’étais prévenue. Je pense que je passerai chez moi à Nohant, la semaine où nous allons entrer et que je serai absente la semaine suivante, pour revenir chez moi dans quinze jours… » (Lettre du 5 décembre.) Mais lorsque l’abbé, tout en l’ayant prévenue par une lettre du 12 décembre, qu’il y arriverait le 21, vint au jour dit, il ne l’y trouva pas, et elle dut en grande hâte arriver de La Châtre pour passer une soirée en causeries philosophiques avec l’abbé. Elle retourna pourtant immédiatement après chez les Duteil. Et l’abbé, de son côté, ne lui adressa plus les lettres « à Nohant », comme auparavant.
    Par les lettres inédites de Rollinat à George Sand et par une lettre de cette dernière à l’abbé, datée du 11 février, nous voyons qu’elle et ses amis avaient d’abord espéré que la séance du tribunal aurait lieu le 2 février et qu’après le jugement elle pourrait immédiatement reprendre possession de sa maison. C’est pour cette raison que Rollinat lui avait adressé ses lettres à Nohant, mais la séance fut remise au 14, puis au 16 février, — et le 18 février, toujours encore de La Châtre, George Sand écrit à l’abbé qu’elle voudrait bien le revoir (ils se sont vus en janvier à Châteauroux), mais qu’elle ne pourra probablement le recevoir chez elle que dans deux mois — si l’adversaire n’acquiesce pas au jugement, — et elle ajoute : « Je me tiens toujours éloignée de mon ermitage, la personne pouvant y arriver d’un moment à l’autre. »
  25. Correspondance, t. I, p. 321 322. Lettre à la comtesse d’Agoult.
  26. Allusion à un célèbre détail du procès de Marie-Antoinette.
  27. Correspondance, t. I, 372.
  28. Correspondance, t. II. Lettre du 10 juillet 1836.
  29. Voir le chapitre vu de notre livre.
  30. Correspondance, t. II, p. 9.
  31. Correspondance, t. I, p. 372. Lettre à Mme d’Agoult.
  32. Correspondance, t. II, p. 25. Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie.
  33. Correspondance, t. II, p. 6.
  34. En insérant cette même pièce dans une note à la page 68 de son livre « Trois grandes figures » (Paris, 1898, Ernest Flammarion), M. Stéfane-Pol appelle cette prière « un document inédit ». C’est une erreur, car non seulement cette pièce fut déjà publiée en 1878 dans le Magasin pittoresque (p. 190), mais encore elle est entrée dans les Œuvres complètes de George Sand, dans le volume des Souvenirs de 1848 (p. 205). On a omis dans ce dernier volume les mots que nous donnons entre parenthèses.
  35. Histoire de ma vie, t. IV, p, 400.
  36. Le Droit, 1836, n° 240.
  37. Inédite.
  38. Lettre inédite à sa mère du 30 juillet 1836.
  39. 1o  Le Droit, 12 juillet 1837 ; — 2o  Lettres inédites ; — 3o  Correspondance, t. II ; — 4o  Histoire de ma Vie, t. IV, p. 420-423.
  40. Lettre inédite.
  41. Lettre inédite.
  42. Lettre inédite à Mlle de Rozières, élève de Chopin, du 21 mai 1847.