Adieu, chère bonne, je suis heureuse, quand même la pluie, quand même l’Espagne, quand même le travail, mais non pas quand même votre absence…
J’embrasse votre Manoël et mon Bignat[1]. Amitié à M. de Bonnechose[2], que j’aime, comme vous savez, de tout mon cœur, et mille bénédictions au cher Enrico ; ne le battez pas trop.
Parlez-moi de tous nos amis ; je n’ai pas de nouvelles de personne, sauf de Grzymala. Chopin vous supplie d’envoyer tout de suite par votre domestique sa lettre ci-jointe à M. Fontana…
Le 22 janvier, — cette lettre est faussement datée de 22 février dans la Correspondance et toujours aussi changée et tronquée, — George Sand se plaint de nouveau de l’absence des lettres de Mme Marliani, et elle redit encore une fois qu’ils sont toujours à Valdemosa, que le jour elle enseigne ses enfants et la nuit elle écrit.
… Au milieu de tout cela le ramage de Chopin qui va son train et que les murs de la cellule sont bien étonnés d’entendre. Le seul événement remarquable depuis cette dernière lettre, c’est l’arrivée du piano attendu. Enfin, il a débarqué sans accident, et les voûtes de la chartreuse s’en réjouissent. Et tout cela n’est pas profané par l’admiration des sots : nous ne voyons pas un chat. Notre retraite dans la montagne, à trois lieues de la ville, nous a délivrés de la politesse des oisifs. Pourtant nous avons eu une visite et une visite de Paris ! C’est M. Dembovski, Italiano-Polonais que Chopin connaît et qui se dit cousin de Marliani, à je ne sais quel degré… Il a été très étonné de mon établissement dans les ruines, de mon mobilier de paysan et surtout de notre isolement, qui lui semblait effrayant.
Le fait est que nous sommes très contents de la liberté que cela nous donne, parce que nous avons à travailler, mais nous comprenons très bien que ces intervalles poétiques qu’on met dans sa vie ne sont que des temps de transition, un repos permis de l’esprit avant qu’il reprenne l’exercice des émotions.
… Je suis bien embarrassée de vous dire combien de temps encore je resterai ici…