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point. Voici ce que George Sand dit elle-même dans l’Histoire de ma vie[1] :

… Je partis avec mes enfants en lui disant que je passerais quelques jours à Perpignan, si je ne l’y trouvais pas, et que s’il n’y venait pas au bout d’un certain délai, je passerais en Espagne…

Il est évident que ce départ de Paris, séparément et non ensemble, fut ainsi arrangé grâce à l’aversion de Chopin pour tout ce qui semblait une infraction aux convenances, une négligence des apparences, un laisser aller moral[2].

Ce ne furent que ses amis les plus intimes — Grzymala, Fontana et Matuszinski — qui surent où il allait. Il désirait qu’on parlât de lui le moins possible à ses autres amis et connaissances. Ce n’est pas une fois, mais plusieurs fois, qu’il exprima ce désir ; il envoyait ses lettres à ses parents et à ses éditeurs par l’intermédiaire de Fontana, et c’est par lui qu’il recevait leurs réponses ; il est certain qu’il voulait cacher le plus possible son adresse exacte[3]. Enfin le départ pour Majorque fut aussi mystérieux que le départ pour Venise en 1834 avait été ostensible et quasi public.

De Perpignan, Mme Sand adressa à Mme Marliani la lettre suivante :


Perpignan, novembre 1838.
Chère bonne,

Je quitte la France dans deux heures. Je vous écris du bord de la mer la plus bleue, la plus pure, la plus unie, on dirait d’une mer de Grèce ou d’un lac de Suisse par le plus beau jour. Nous nous portons bien tous.

Chopin est arrivé hier à Perpignan, frais comme une rose et rose comme un navet ; bien portant d’ailleurs, ayant supporté héroïquement ses quatre nuits de malle-poste. Quant à nous, nous avons voyagé

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p. 436.
  2. C’est ainsi, par exemple, au dire de Niecks, que Chopin contribua avec intention à répandre la fausse nouvelle de son départ pour une cure d’eau en Bohême, afin de cacher son premier voyage à Nohant. (Cf. Fr. Niecks, Chopin, t. Ier, p. 325.)
  3. Cf. Niecks, Chopin, t. II, p. 22, 23, 26.