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ment ni pourquoi, grâce à une erreur d’adresse ou à la distraction d’un domestique, il reçut un jour un billet de George Sand adressé à un fumiste (dans le sens exact du mot), avec la prière de se rendre chez elle pour une réparation quelconque à faire. Loménie décida sur-le-champ de profiter de ce quiproquo et de passer pour un fumiste, afin de pénétrer dans le sanctuaire. Nous avons déjà donné plus haut le passage où il raconte comment on le dirigea à travers un petit jardin vers un petit pavillon, comment il sonna à la porte de ce petit pavillon, comme on lui ouvrit, le fit monter un tout petit escalier et entrer dans une petite antichambre, « ressemblant à l’antichambre de tout le monde… »

… Là, on me demande mon nom ; j’hésite un instant ; mais bientôt appelant à mon aide tout mon fanatisme de biographe, je consomme intrépidement mon forfait en volant le nom de l’honnête fumiste qui, très probablement, ne se doutait guère en ce moment de ma concurrence. On me prie d’attendre. En vérité je ne demandais pas mieux, car j’avais à peine eu le temps d’apprendre mon rôle et je n’étais pas fâché de le répéter un peu avant la représentation. Cependant l’attente se prolongeait indéfiniment ; mon ardeur première s’en allait peu à peu et ce rôle improvisé, dont je n’avais jusqu’ici envisagé que les avantages, commençait à se présenter à moi avec tous ses inconvénients. Je voyais passer et repasser autour de moi une charmante enfant aux cheveux bouclés, dont le regard inquisiteur me mettait assez mal à mon aise ; c’était Mlle Solange, la jolie fille de l’illustre écrivain. De plus, tout homme de rien que je suis, je croyais entendre à travers les portes une voix d’artiste qui m’était bien connue et je nie disais que si mon larcin allait être découvert, je ferais certainement une triste figure ; au total, la perspective d’une cheminée à ramoner me paraissait un peu inquiétante, vu mon inexpérience. D’autre part, au point de vue où j’en étais, c’eût été une honte de reculer. Dans cette perplexité, je me décidai tout à coup à m’adresser à la duègne qui m’avait introduit ; je pensais que c’était sans doute cette digne Ursule des Lettres d’un voyageur qui prend la. Suisse pour la Martinique ; et cette pensée m’enhardit un peu, je lui contai le quiproquo qui m’avait inspiré l’audace de ma visite ; j’ajoutai d’un ton doucereux que j’étais un simple amateur de choses étranges ; qu’à ce titre je ne serais pas fâché de voir sa maîtresse, et que si elle voulait bien m’en faciliter les moyens, je lui ferais hommage de la collection complète de mes œuvres.