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vant, — toujours par l’intermédiaire de Théophile, qui appartient à T aristocratie rurale, — la connaissance d’une certaine vicomtesse de Chailly, il a renoué des relations avec elle et, en profitant de la liberté des mœurs campagnardes, est devenu un assidu de sa maison et bientôt son cavaliere servente.

Cette vicomtesse, il faut en convenir, rappelle singulièrement une certaine comtesse que l’ami Piffoël admirait, naguère encore, et pour laquelle George Sand écrivit la dédicace si éloquente de Simon. Son portrait rappelle celui de la « blanche Arabella » du Journal de Piffoël[1] ou de la « Péri à la robe bleue » des Lettres d’un voyageur, vu dans un miroir concave.

Elle est svelte jusqu’à la maigreur, gracieuse dans ses mouvements jusqu’à l’affectation, habillée de robes artistiquement taillées, coiffée inimitablement, — qu’on se souvienne « des robes de mille francs » dont parlait Liszt, des coiffures irréprochables d’ « Arabella » décrites par le major Pictet[2], et de ce que même à Nohant, la comtesse amenait sa femme de chambre, Mme Chevreuil, connue par son adresse à coiffer les beaux cheveux blonds de sa maîtresse. Or, la vicomtesse de Chailly n’a de beau que sa chevelure. Mais laissons parler l’auteur d’Horace :

La vicomtesse Léonie de Chailly n’avait jamais été belle, mais elle voulait absolument le paraître, et à force d’art elle se faisait passer pour jolie femme. Du moins, elle en avait tous les airs, tout l’aplomb, toutes les allures et tous les privilèges. Elle avait de beaux yeux verts d’une expression changeante qui pouvaient non charmer, mais inquiéter et intimider. Sa maigreur était effrayante et ses dents problématiques, mais elle avait des cheveux superbes, toujours arrangés avec un soin et un goût remarquables ; sa main était longue et sèche, mais blanche comme l’albâtre et chargée de bagues de tous les pays du monde. Elle possédait une certaine grâce qui imposait à beaucoup de gens. Enfin elle avait ce qu’on peut appeler beauté artificielle.

La vicomtesse de Chailly n’avait jamais eu d’esprit, mais elle voulait absolument en avoir, et elle faisait croire qu’elle en avait. Elle

  1. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 357, 358, 360-362.
  2. Cf. Une course à Chamounix, par Adolphe Pictet, et George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 246, 327, 333, 334.