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Si je vous voyais, je vous donnerais des détails sur mes démarches et sur mes impressions personnelles, qui vous intéresseraient ; mais je peux les résumer en quelques lignes qui vous donneront la mesure des choses.

Le nom dont on s’est servi pour accomplir cette affreuse boucherie de réaction n’est qu’un symbole, un drapeau qu’on mettra dans la poche et sous les pieds le plus tôt qu’on pourra. L’instrument n’est pas disposé à une entière docilité. Humain et juste par nature, mais nourri de cette idée fausse et funeste que la fin justifie les moyens, il s’est persuadé qu’on pouvait laisser faire beaucoup de mal pour arriver au bien, et personnifier la puissance dans un homme pour faire de cet homme la providence d’un peuple.

Vous voyez ce qui adviendra, ce qui advient déjà de cet homme. On lui cache la réalité des fait ? monstrueux qu’on accomplit en son nom, et il est condamné à la méconnaître pour avoir méconnu la vérité dans l’idée. Enfin, il boit un calice d’erreurs présenté à ses lèvres, après avoir bu le calice d’erreurs présenté à son esprit, et, avec la volonté personnelle du bien rêvé, il est condamné à être l’instrument, le complice, le prétexte du mal accompli par tous les partis absolutistes. Il est condamné à être leur dupe et leur victime. Dans peu, j’en ai l’intime et tragique pressentiment, il sera frappé pour faire place à des gens qui ne le vaudront certainement pas, mais qui prennent le soin de le faire passer pour un despote implacable (sous d’hypocrites formules d’admiration), afin de rendre sa mémoire responsable de tous les crimes commis à son insu.

Il me parait essayer maintenant d’une dictature temporaire dont il espère pouvoir se relâcher. Le jour où il l’essayera il sera sacrifié, et, pourtant, s’il ne l’essaye bientôt, la nation lui suscitera une résistance insurmontable…

…Je ne sais, quant à nous, pauvres persécutés du Berry, ce qui sera statué sur notre sort. J’ai plaidé notre cause an point de vue de la liberté de conscience, et je le pouvais en toute conscience, puisque nous n’avons rien fait en Berry contre la personne du président depuis les événements de décembre. Il m’a été répondu qu’on ne poursuivrait pas les pensées, les intentions, les opinions, et cependant on le fait, et cependant je ne vois pas la réalisation des promesses qu’on m’a faites. On me dit ailleurs que c’est fourberie et jésuitisme.

J’ai la certitude que ce n’est pas cela. C’est quelque chose de pis pour nous, peut-être. C’est impuissance. On a donné une hécatombe à la réaction : on ne peut plus la lui arracher. Pourtant j’espère encore pour nous de mon plaidoyer, et j’espère pour tous de la nécessité d’une amnistie prochaine. On la promet ouvertement. On obtient facilement, à titre de grâce, mais comme personne de chez nous ne demande