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cette manière de Chopin de traiter les faits de la vie réelle qui creusèrent, peu à peu, un gouffre entre lui et Mme Sand.

9° Lucrezia, à l’instar de l’auteur de l’Histoire de ma vie, dit au comte Albani :

Je connais ses principes et ses idées d’après ce que tu m’en dis tou les jours ; car, quant à lui, je dois avouer qu’il ne m’a jamais fait de morale.

Mais tout comme Mme Sand, elle sait parfaitement combien leurs principes et leurs idées étaient dissemblables, combien cette dissemblance créait à tout moment une différence dans leur manière de juger les choses.

Dans le roman, voici le fait qui éveille le plus grand mécontentement du prince Karol :

« Lucrezia s’inquiéta en entendant dire que Boccaferri, un pauvre artiste qu’elle avait sauvé plusieurs fois des désastres de la misère, quoiqu’elle n’eût jamais eu pour lui le moindre amour, ni la plus légère velléité d’engouement, était retombé dans un état de gêne et de privation. » Elle s’empresse de venir au secours de son ex-camarade, ce qui pousse Karol à un accès de mécontentement profond, presque de jalousie. N’est-ce pas une irritation toute semblable qui perce dans la lettre de Chopin à ses parents, écrite en l’automne de 1845, citée en partie plus haut[1] ? Il critiquait ces continuels secours pécuniaires de Mme Sand à Leroux. Il ne voyait pas d’un œil plus favorable l’aide pécuniaire qu’elle prêtait à Bocage, dont le nom même ressemble à Boccaferi.

10° Autre trait de ressemblance entre Chopin et le prince Karol. On sait qu’à part ses parents et ses sœurs Chopin n’aima jamais que trois ou quatre de ses camarades d’école et de jeunesse. En présence de tous les autres, des nombreux amis mondains ou artistes, il se dérobait, cachait son moi intime derrière un mur infranchissable d’amabilité, de politesse et d’agréable causerie mondaine. Mme Sand raconte dans l’Histoire de ma vie

  1. P. 408, chap. iv.