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qu’aucune dame de nos salons. Voici mes reproches : lisez-les en riant, mais aussi en prenant la résolution de vous observer. C’est une querelle de pure littérature que je vous fais, une guerre de mots, une chicane sur les expressions. Vous ne vous apercevez pas qu’en m’exprimant une effusion filiale, qui me touche et qui m’honore, vous vous servez de mots qui, mal interprétés, seraient le langage de la passion la plus exaltée. J’ai quarante ans ; j’ai toute la raison qu’on doit avoir à mon âge. Loin de moi donc la sotte pruderie de croire que j’ai à me défendre d’une idée folle de la part de qui que ce soit. Ma vie est sérieuse, mes affections sont sérieuses, et mon jugement l’est aussi. Mais je vis parmi des gens calmes qui, ne connaissant pas l’enthousiasme méridional, ou ne se rappelant pas celui de leur propre jeunesse, ne comprendraient rien à vos lettres si je les leur montrais. Je brûle donc vos lettres aussitôt que je les ai lues, en riant de cette précaution que vous me forcez de prendre, mais aussi en m’étonnant un peu que, vous qui êtes poète, c’est-à-dire artiste dans le choix des mots, ouvrier en fait de langage, comme on dit aujourd’hui, vous fassiez sans vous en apercevoir de tels contresens…

Puis elle continue sa « querelle de pure littérature », mais en la déclarant cette fois aux vers fantaisistement érotiques et ultra-romantiques de Poncy, bons pour quelque banal poète bourgeois. Il ne sied pas à un poète populaire d’écrire toutes ces billevesées :

… Je trouve là une infraction à la dignité de votre rôle. Le poète ; du peuple a des leçons de vertu à donner à nos classes corrompues, et, s’il n’est pas plus austère, plus pur et plus aimant le bien que nos poètes, il est leur copiste, leur singe et leur inférieur. Car ce n’est pas seulement l’art d’arranger les mots qui fait un grand poète : c’est là l’accessoire, c’est là l’effet d’une cause. La cause doit être un grand sentiment, un amour immense et sérieux de la vertu, de toutes les vertus ; une moralité à toute épreuve, enfin une supériorité d’âme et de principes qui s’exhale dans ses vers à chaque trait et qui fasse pardonner à l’inexpérience de l’artiste, en faveur de la vraie grandeur de l’individu…

Enfin, voulez-vous être un vrai poète, soyez un saint ! et quand votre cœur sera sanctifié, vous verrez comme votre cerveau vous inspirera…

Après lui avoir parlé du choix et des changements à faire dans le nouveau volume qu’il veut publier et de l’opinion de