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ont dernièrement été condamnées… avaient un de leurs plus brillants organes dans le Père Tosti, l’auteur de la Ligue lombarde, du Psautier du Pèlerin, du Voyant du dix-neuvième siècle, espèce de Lamennais italien, ayant toutes les allures du nôtre, avec la différence toutefois de l’esprit italien et l’esprit français…

Après avoir raconté en quelques lignes les persécutions que subirent tous ces mystiques, tous ces hommes avancés, prétendus « révolutionnaires » et « socialistes », Renan continue ainsi :

… C’était au fond des Apennins, loin de tous les chemins battus, que je devais retrouver l’esprit moderne de la France, dont rien depuis si longtemps ne m’avait offert l’image. Le premier livre que je rencontrai dans la cellule du Père Sebastiano, le bibliothécaire, fut la Vie de Jésus, de Strauss ! On ne parle ici que de Hegel, de Kant, de George Sand, de Lamennais. Entre nous soit dit, mon ami, les Pères sont aussi philosophes que vous et moi : l’étude les a menés là où aboutit forcément l’esprit moderne, au rationalisme, au culte en esprit et en vérité. Aussi quelles colères contre la superstition, l’hypocrisie, les prêtres (c’est le mot ici), le roi de Naples surtout !… En politique, ces moines sont du rouge le plus foncé ; ils y portent cette naïve confiance, cette absence de nuance et de tempérament qui caractérise les premiers pas dans la politique. Garibaldi est le héros du couvent : j’ai entendu de mes oreilles faire l’apologie de l’assassinat du roi par ce principe que quand l’ennemi est entré sur le territoire, tout droit est supprimé, l’état de guerre est permanent, tout moyen est permis. Imaginez la plus parfaite réalisation de Spiridion, vous aurez l’idée exacte du Mont-Cassin. Ah ! quels beaux types de résignation morale, d’élévation religieuse, de culture intellectuelle désintéressée, j’ai trouvés dans ces moines ! Des jeunes gens surtout, j’en ai trouvé un ou deux, vraies natures d’élite, une finesse, une délicatesse admirables… Ils me lisent et me font admirer les Inni de Manzoni, admirables expressions de ce christianisme moral qui a captivé toutes les nobles intelligences de l’Italie contemporaine, abstraction de toute idée dogmatique. Ils sont moines pourtant, oh ! oui, bien moines italiens frénétiques, vrais énergumènes rêvant encore, Dieu me pardonne, l’Italie reine du monde ; croyant bien sérieusement qu’avec les Italiens de mai 1848 on pourrait conquérir le monde. Nous nous regardions les uns les autres quand le sous-prieur nous déclarait que si on les chassait de leur abbaye, ils y mettraient le feu en emportant leurs archives, comme les moines du moyen âge les os de leurs saints…

Il nous semble qu’il suffit de ces lignes pour établir que l’épi-