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voient jamais d’étrangers, c’est pour cela qu’ils ne savent pas ce qu’ils peuvent leur réclamer. C’est ainsi qu’ils donneront gratis une dizaine d’oranges, mais pour un bouton de culotte, ils demanderont une somme exorbitante[1].

Sous ce ciel, on se sent pénétré par un sentiment poétique qui semble émaner de tous les objets environnants. Des aigles planent chaque jour sur nos têtes, sans que personne les dérange.

Je joins une lettre pour mes parents ; il me semble que c’est déjà la troisième ou la quatrième que je leur adresse par toi…

Le 15 janvier 1839, George Sand écrit aussi de Valdemosa à Mme Marliani :

Nous habitons la chartreuse de Valdemosa, endroit vraiment sublime, et que j’ai à peine le temps d’admirer, tant j’ai d’occupations avec mes enfants, leurs leçons et mon travail.

Notre pauvre Chopin est toujours très faible et très souffreteux[2]. Il fait ici des pluies dont on n’a pas l’idée ailleurs ; c’est un déluge effroyable ! l’air est si relâché, si mou, qu’on ne peut se traîner ; on est réellement malade. Heureusement Maurice se porte à ravir ; son tempérament ne craint que la gelée, chose inconnue ici. Mais le petit Chopin est bien accablé et tousse toujours beaucoup. J’attends pour lui avec impatience le retour du beau temps, qui ne peut tarder. Son piano est enfin arrivé à Palma ; mais il est dans les griffes de la douane qui demande cinq à six cents francs de droit d’entrée et qui se montre intraitable…

Je suis plongée avec Maurice dans Thucydide et compagnie ; avec Solange, dans le régime indirect et l’accord du participe. Chopin joue d’un pauvre piano majorquin qui me rappelle celui de Bouffé dans Pauvre Jacques. Ma nuit se passe comme toujours à gribouiller. Quand je lève le nez, c’est pour apercevoir, à travers la lucarne de ma cellule, la lune qui brille au milieu de la pluie sur les oranges, et je n’en pense pas plus long qu’elle…

La fin de cette lettre est de nouveau tronquée (page 121) dans la Correspondance. La lettre autographe se termine ainsi :

  1. Karasowski, qui avait mis tant de zèle à corriger les lettres de Chopin, avait changé ce bouton de culotte en un « bouton de redingote » ; tandis que Chopin, tout comme Pouchkine, employait dans ses lettres intimes des expressions non seulement familières, mais souvent même assez fortes.
  2. Cette phrase est omise dans la lettre imprimée à la page 120 du tome II de la Correspondance.