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fleurie de cette même spirée-reine-des-prés à laquelle Mme Sand fait allusion dans la lettre précitée à son fils — se trouve au chapitre xxxviii de Monsieur Sylvestre.

En me voyant il (M. Sylvestre) a posé son attirail à terre. (Il était équipé poiu’la pêche à la ligne, et la pêche à la ligue requiert la solitude et le silence), et, s’asseyant sous une saulée à la lisière d’un pré, il me dit d’un air confiant et amical : « Causons ! »

L’endroit était charmant : le pré, doucement incliné vers l’eau, était tout parsemé de spirée-reine-des-prés et de grandes salicaires pourpres qui dépassaient princièrement la foule pressée des vulgaires plantes fourragères. Nous avions pour sièges et pour lits de repos de larges blocs de grès, masses hétérogènes, descendues jadis de la colline et enfouies dans la terre, que leur dos usé et arrondi perce de place en place. Ces beaux grès propres et sains semés dans l’herbe, sous un clair ombrage, invitent au repos et Termite les connaît bien.

— Voilà, me dit-il, un des riches et moelleux boudoirs que dame Nature met à ma disposition. Il faut aussi que j’en remercie la généreuse hospitalité de mes semblables, car tout le monde n’est pas autorisé à pénétrer dans ces herbages. En qualité de pauvre discret, j’ai la permission d’aller partout. On sait comme j’aime la beauté des plantes, comme je dirige et mesure mes pas pour ne pas fouler l’herbe, et comme je respecte les petits rejets des arbres. N’est-ce pas là un privilège quasi royal ? Toute la vallée m’appartient, et quand le paysan jaloux et un peu despote vient à moi d’un air menaçant, sitôt qu’il me reconnaît, il sourit et me confirme mon droit en disant : « Tiens, c’est vous, monsieur Sylvestre[1] ? Alors, c’est bon, c’est bon, restez tranquille, on ne vous dit rien. »

Je vous demande un peu quel est le potentat à qui Jacques Bonhomme a jamais d’aussi bon cœur prêté foi et hommage ?

C’est ici, continua-t-il, une de mes retraites favorites. Voyez, à cent pas de nous, comme le ruisseau est gracieux en se laissant tournoyer mollement dans cette déchirure de terrain ! C’est lui qui a dévasté cette petite rive ; il lui a plu, après avoir glissé doux et muet dans les prairies, de faire ici une légère pirouette et d’y amasser un peu de sable pour y sommeiller un instant avant de reprendre sa marche silencieuse et mesurée. Tout s’est prêté à son innocente fantaisie : la berge s’est élargie, les iris et les argentines se sont approchées pour jouer avec l’eau ; les aulnes se sont penchés pour l’ombrager, et l’homme, en établissant là un gué, lui a permis de s’étendre et de repartir sans effort.

  1. Il est évident qu’il faut sous-entendre par « M. Sylvestre » Mme Sand.