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D’ailleurs, le prince Karol n’est pas artiste. C’est un rêveur et rien de plus ; n’ayant pas de génie, il n’a pas les droits du génie. C’est donc un personnage plus vrai qu’aimable, et c’est si peu le portrait d’un grand artiste que Chopin, en lisant le manuscrit chaque jour sur mon bureau, n’avait pas eu la moindre velléité de s’y tromper, lui si soupçonneux pourtant !

Et cependant, plus tard, par réaction, il se l’imagina, m’a-t-on dit. Des ennemis (j’en avais auprès de lui qui se disaient ses amis, comme si aigrir un cœur souffrant n’était pas un meurtre), des ennemis lui firent croire que ce roman était une révélation de son caractère. Sans doute, en ce moment-là, sa mémoire était affaiblie : il avait oublié le livre, que ne l’a-t-il relu !

Cette histoire était si peu la nôtre ! Elle en était tout l’inverse. Il n’y avait entre nous ni les mêmes enivrements, ni les mêmes souffrances. Notre histoire, à nous, n’avait rien d’un roman ; le fond en était trop simple et trop sérieux pour que nous eussions jamais eu l’occasion d’une querelle l’un contre l’autre, à propos l’un de l’autre !…

Puis viennent les lignes citées au chapitre v et que nous devons reprendre ici :

… Nous ne nous sommes donc jamais adressé un reproche mutuel, sinon une seule fois, qui fut, hélas ! la première et la dernière. Une affection si élevée devait se briser et non s’user dans ces combats, indignes d’elle. Mais si Chopin était avec moi le dévouement, la prévenance, la grâce, l’obligeance et la déférence en personne, il n’avait pas pour cela abjuré les aspérités de son caractère envers ceux qui m’entouraient. Avec eux l’inégalité de son âme tour à tour généreuse et fantasque se donnait carrière, passant toujours de l’engouement à l’aversion et réciproquement.

Rien ne paraissait, rien n’a jamais paru de sa vie intérieure dont ses chefs-d’œuvre d’art étaient l’expression mystérieuse et vague, mais dont ses lèvres ne trahissaient jamais la souffrance. Du moins telle fut sa réserve pendant sept ans, que moi seule put les deviner, les adoucir et en retarder l’explosion.

Pourquoi une combinaison d’événements en dehors de nous ne nous éloigna-t-elle pas l’un de l’autre avant la huitième année

Cette huitième année de leur vie commune ce fut bien l’année 1846.

Pour bien comprendre et pour apprécier à sa juste valeur le troisième passade de l’Histoire de ma vie, précédant ces deux