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une vraie calamité[1]. Dans le cas présent, la disgrâce qui frappait ainsi « l’honnête Françoise » et le vieux jardinier Pierre parut à Chopin une chose inqualifiable, exorbitante, Françoise servant dans la maison depuis vingt et un ans, Pierre vivant au château depuis quarante ans, depuis la grand’mère de Mme Sand. Chopin crut qu’ils étaient les victimes d’Augustine et de Maurice. Il fait part à sa sœur qui avait connu à Nohant les deux vieux serviteurs de leur renvoi et il ajoute ironiquement : « Fasse le ciel, que les nouveaux plaisent davantage au jeune maître et à la cousine…[2]. » Quant à Mme Sand, elle s’étonnait de l’étonnement de Chopin. Dans sa lettre à Mlle de Rozières, datée du 18 juin, en déclarant de son côté qu’elle avait renvoyé sa vieille servante, elle ajoute :

Françoise m’a fait des scènes de poissarde. Chopin est effaré de ces actes tardifs de rigueur. Il ne conçoit pas qu’on ne supporte pas toute la vie ce qu’on a supporté vingt ans. Je dis, moi, que c’est parce qu’on l’a supporté vingt ans qu’on a besoin de s’en reposer… Il nous semble que ces « actes de rigueur » contre une femme à laquelle, il y avait deux ans à peine, Mme Sand avait dédié, dans

  1. Dans la lettre à sa sœur du 20 juillet 1845, en lui racontant les petits faits de la vie à Nohant, Chopin dit entre autres : « … Il y a en ce moment un grand orage au dehors et un second dans la cuisine. On peut voir ce qui se passe au dehors, mais dans la cuisine, je ne le saurais pas, si Suzanne n’était venue se plaindre de Jean, qui l’a maltraitée en français parce qu’elle lui a enlevé son couteau de table. Les Jedrzeiewicz connaissent le français de Jean, ils peuvent donc s’imaginer comme il a gentiment injurié la femme de chambre. « … Pourtant ils se disputent souvent, et comme la servante de Mme Sand est très adroite et nécessaire, il est probable que pour avoir la paix, je serai obligé de renvoyer le mien, ce que je déteste, car on ne gagne rien à ces changements de figures. Par malheur, il ne plaît pas non plus aux enfants, parce qu’il est propre et fait régulièrement sa besogne… » Dans sa lettre de l’automne de cette année, Chopin dit qu’effectivement il se sépare de son Jean parce qu’il ennuie certaines personnes et que les enfants se moquent de lui, mais il le fait à grand regret, parce que Jean lui est très attaché, et quoiqu’il ait maintes fois déclaré qu’il s’en allait, à cause de Suzanne, il espérait toujours être pardonné, et restait.
  2. V. la lettre de Chopin à sa sœur du 11 octobre 1846, dont nous donnons un grand extrait plus loin, et une lettre ultérieure, d’avril 1847.