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lente, elle fut, autant que dura sa vie, l’aide sûre du poète, et dans un âge très avancé, lorsque la vue et la mémoire de Magu lui firent défaut, alors qu’il ne pouvait presque plus rien gagner, cette vaillante vieille femme se remit, pour soutenir son mari, à travailler à la journée, gagnant soixante centimes par jour. Elle succomba à cet effort et mourut, en laissant son vieux inconsolable. Et lorsqu’on l’enterra, il « s’agenouillait, — disait-il, — devant son lit, à la place même où sa main lui était tendue pour lui faire ses adieux, c’est à cette place qu’il priait non pas Dieu, mais elle, c’était sa sainte à lui, et chaque chose qu’elle avait touchée était pour lui une relique ; sa tabatière en bois de dix centimes ne le quittait pas, elle était sur son cœur et il la baisait quand il était sans témoins…[1] ». — Voilà comme il vénérait les qualités morales de cette simple et excellente femme.

Depuis la maladie de sa compagne, tombé presque dans la misère, malade lui-même, à demi aveugle, perdant parfois complètement la mémoire, reconnaissant avec une touchante sincérité qu’il était menacé du pire des maux, la perte de la raison, et, pour éviter ce malheur, s’abstenant, sur le conseil de son médecin, de tout travail intellectuel, Magu passa ses dernières années dans la plus grande indigence auprès de sa fille Félicie. Il survécut à son gendre Gilland, et mourut à Paris, à la Charité, des suites d’une chute. Mais, malgré les mauvais coups du sort (il avait deux fils, qui essayèrent — de son vivant — d’accaparer les malheureux sous qui lui restaient de ses publications littéraires), ayant d’abord, grâce à la révolution de 1848, perdu la pension royale de deux cents francs, et puis, sa dernière ressource, la subvention de cent francs qu’il recevait du ministre de l’instruction publique ; ayant réduit ses besoins au strict nécessaire et ne s’accordant que « le luxe du tabac », dont Mme Sand lui envoyait de temps en temps une petite provision, parce que c’était là la seule consolation du pauvre bonhomme, obligé quelquefois de bourrer sa pipe de l’herbe des prés, — il

  1. Lettre inédite de Magu à Mme Sand, du 29 octobre 1859.