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de cœur plus impossible à satisfaire. Et rien de tout cela n’était sa faute à lui. C’était celle de son mal. Son esprit était écorché vif ; le pli dune feuille de rose, l’ombre d’une mouche le faisaient saigner. Excepté moi et mes enfants, tout lui était antipathique et révoltant sous le ciel de l’Espagne. Il mourait de l’impatience du départ, bien plus que des inconvénients du séjour…[1].

Pour comble d’ennui, la bonne que Mme Sand avait amenée de France et qui consentait d’abord, « moyennant un gros salaire, à faire la cuisine et le ménage », était sur le point de refuser son service, de sorte que Mme Sand pouvait d’un jour à l’autre s’attendre à devoir faire la cuisine, balayer l’appartement et à voir ses forces lui manquer, car, outre son préceptorat, son travail littéraire, les « soucis continuels exigés par l’état du malade et l’inquiétude mortelle à son sujet », elle-même fut, grâce à l’atroce humidité, prise de rhumatismes[2].

Enfin le beau temps revint. Après avoir encore attendu quinze jours un vent propice pour la traversée confortable des « passagers de distinction » majorquins, — les cochons, — nos voyageurs excédés d’ennuis s’embarquèrent pour Barcelone, à bord de ce même El-Mallorquin qui les avait en novembre transportés à Majorque.

Je quittai la chartreuse avec un mélange de joie et de douleur, dit George Sand. J’y aurais bien passé deux ou trois ans seule avec mes enfants…[3].

La traversée fut un tourment pour Chopin et une angoisse pour Mme Sand qui souffrait de le voir souffrir. Le trajet de Valdemosa à la mer effectué par des routes horribles dans un véhicule incroyable fatigua le malade ; arrivé à Palma, il eut un crachement de sang. Et voilà qu’il lui fallait respirer pendant toute une nuit un air infecté par une centaine de cochons, entendre leurs abjects grognements et les jurons et coups que

  1. Histoire de ma vie, t. IV, p. 442-443.
  2. Corresp., t. II, p. 131-132. Lettre à Rollina.
  3. Histoire de ma vie, t. IV, p. 443.