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Béranger qui estime que ce second volume doit être supérieur au premier, ce qu’elle pense aussi, elle termine sa lettre par ce conseil précieux :

Je vous demande pour mon compte de faire souvent des vers sur votre métier, ce sont les plus originaux de votre plume. Vous y mettez un mélange de gaieté forte et de tristesse poétique que personne ne pourrait trouver, à moins d’être vous. Les trois ou quatre strophes de l’Épître à Béranger, où vous parlez de votre truelle avec tant de naïveté et de philosophie, ont un tour robuste et frais qui vous constitue une individualité véritable. Ce sont aussi les strophes qu’on a remarquées et goûtées ici, où il y a tant de poètes, où l’on publie tant de milliards de vers par semaine ; où l’on est si blasé, si ennuyé de poésie, si difficile et si moqueur ; ici où l’on a tout chanté, le ciel, la mer, l’amour, l’orage, la solitude, la rêverie, enfin tout ce que chantent les poètes, on ne connaît pas la poésie du peuple, et c’est la Revue indépendante qui a osé la découvrir un beau matin. Si vous voulez n’être pas perdu dans la foule des écrivains, ne mettez donc pas l’habit de tout le monde, mais paraissez dans la littérature avec ce plâtre aux mains qui vous distingue et qui nous intéresse, parce que vous savez le rendre plus noir que notre encre. Ceci est une pure question littéraire. Mais, je le répète, soyez homme du peuple jusqu’au fond du cœur et, si vous vous préservez de la vanité et de la corruption des classes moyennes ou supérieures, comme on les appelle, tout ira bien. Autrement votre force ne s’étendra pas au delà d’un certain point et ne passera pas les limites de clocher…

Il est fort probable que George Sand avait parlé de même à Magu, mais Magu, grâce à son bon sens naturel et à son bon goût, se rendait parfaitement compte que la naïveté de ses vers constituait sa vraie puissance et son originalité, aussi ne consentait-il pas même à les polir. Quant à Poncy, les bons conseils de Mme Sand ne furent point perdus ; son second volume fut vraiment supérieur au premier : Béranger et George Sand en témoignent. Lorsqu’en 1844 ce nouveau recueil parut sous le titre du Chantier, Mme Sand mit à exécution son projet d’antan : elle en écrivit la préface. Elle y parlait avec grande sympathie de Béranger ; né poète, disait-elle, par la grâce de Dieu, il avait créé un genre nouveau, enthousiasmé par son exemple et par ses chansons beaucoup de jeunes poètes populaires. Elle ajou-